Ecrit il y a trente ans : “Algérie : les questions de l’an II de la démocratie”

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Une nouvelle génération d’Algériens, qui n’a pas connu les mobilisations de 1990, découvre les manifestations de rue. Voici les premières lignes d’un texte que j’avais écrit après avoir assisté à Alger à de nombreuses “marches” au début 1990.

Alger aux larges avenues et aux petites ruelles en pente, aux escaliers innombrables, aux immeubles dominant la baie, du haut des collines où se maintiennent miraculeusement arbres et verdure, Alger donc, lasse de regarder la mer en silence, a inventé une nouvelle passion, la manifestation de rue, “la marche “.

Silencieuse ou chantante, austère ou dansante, agitant gaiement des banderoles ou les maintenant strictement rigides, la foule envahit périodiquement les rues, les monte, les descend, se compte et se recompte, compare les chiffres des uns aux estimations des autres, se trouve plus nombreuse qu’hier, moins déterminée que demain, discute à perte de vue la signification de sa propre marée, mais, au fond, toujours jubile : après presque trente ans de silence, d’enfermement, de discrétion forcée, cette foule oui n’existait pas, éclatée entre ces centaines de milliers de citoyens qui «faisaient la chaîne », allaient au boulot en silence, montaient sur dix, douze étages des jerrycans d’eau, vivaient, quoi, en se détendant en aparté avec des histoires assassines sur tel ou tel dirigeant, cette foute exulte de sa propre existence, de son propre mouvement, de sa vie capricieuse qui la fait apparaître et disparaître sur la place des Martyrs, dans les rues, pas encore vraiment persuadée qu’elle ne rêve pas.

Qu’il pleuve (“il faut se mouiller pour la démocratie”) ou qu’il fasse chaud, qu’ils soient seulement des hommes voulant étaler leur discipline - ou que le cortège éclate de mille couleurs et des voix joyeuses des femmes, ce qui est le plus important en ce moment en Algérie, c’est cette découverte, dans la rue, que l’on peut être ensemble à se battre pour quelque chose qui n’est pas seulement le pain quotidien.

Et ce phénomène est tellement fort, tellement important que l’on est tenté de ne voir que cela, de ne parler que de lui : cette démocratie, née du refus de tout un peuple d’accepter la répression des enfants d’octobre 1988, de permettre encore que coule le sang dans tes rues, cette démocratie est d’abord la prise de conscience que l’on n’est pas seul, que l’on n’avait jamais été seuls…

Et si, observateurs amicaux ou cyniques, on est tentés de dire que ce n’est pas cela toute la politique, qu’il y a d’autres problèmes, des lieux de pouvoir, des rapports entre les forces sociales et le pouvoir, des divisions d’ordre économique ou autre qui ont leur poids, il reste que, dans sa naïve découverte de la rue, le peuple algérien est aussi en train de changer ces rapports de force, de se prouver et de dire aux autres qu’il faut désormais compter avec lui et peut-être de jeter les bases de nouvelles – et malheureusement encore futures – règles du jeu démocratique. En attendant, de nombreuses questions restent posées… (…)

Outrouhat, 25 Mai 1990

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