Démocraties politiques, dictatures économiques

De la France à l’Uruguay, ce n’est pas un hasard si les gouvernements néolibéraux ont proposé une réforme des retraites qui ajoute des années à l’âge de la retraite (deux en France; jusqu’à cinq en Uruguay). Le récit qui justifie l’augmentation de l’âge de la retraite est double: (1) les gens vivent plus longtemps et, par conséquent, doivent travailler plus; (2) Si ces « réformes nécessaires et douloureuses » ne sont pas faites, le système sera définancé et le pays perdra sa compétitivité dans le monde, puisque d’autres pays ont appliqué ces mêmes mesures, nécessaires pour la classe financière et douloureuses pour les classes productives. Le même discours, plus une troisième menace, se répète depuis des décennies aux États-Unis : (3) La sécurité sociale (l’invention du « président communiste » Franklin D. Roosevelt pendant la Grande Dépression) n’est pas viable, il faut donc relever l’âge de la retraite et, dans la mesure du possible, privatiser. Peu importe qu’il soit et ait toujours été autonome. L’assurance sociale n’est que cela: une assurance, pas des investissements risqués.

La privatisation a d’abord été mise en œuvre dans les pays périphériques. La destruction de la démocratie socialiste d’Allende il y a cinquante ans et l’imposition de la dictature de Pinochet avaient l’intention déclarée de préserver la liberté du capital et d’utiliser ce pays comme laboratoire pour les théories néolibérales de Hayek et Friedman. Le « miracle chilien » s’est distingué par ses crises sociales et économiques, malgré le tsunami de dollars de Washington et des grandes entreprises. Le modèle de retraite semi-privé a été introduit en Uruguay en 1996 et n’a pris que vingt ans pour échouer. Ce foutu État devait venir à la rescousse de ceux qui étaient lésés par les génies de l’investissement.

La difficulté qu’un seul pays, que ce soit la France ou l’Uruguay, puisse résister à cette accélération du vol des classes populaires est due au fait que ces politiques néolibérales ont une portée mondiale. Les pays sont les otages du grand capital qui migre d’un pays à l’autre en quelques heures, terrorisant les populations avec la menace d’une nouvelle crise économique et forçant leurs dirigeants, démocratiques ou non, à s’agenouiller devant ces seigneurs féodaux.

D’autre part, les plus grandes institutions financières du monde, telles que le FMI et la Banque mondiale, sont des alliés de cette mafia. La Banque mondiale se définit comme une banque de développement, mais sa pratique indique le contraire : elle est au service des profits du capital, informant à la minute près quels pays envisagent de voter une loi pour protéger leurs travailleurs ou pour contrôler les banques par des réglementations. Ainsi, ses partenaires et clients peuvent protéger leurs investissements en transférant leurs millions d’un pays souverain vers un pays plus convivial, mieux placé dans le classement de la « liberté d’entreprise », une autre de ces vieilles fictions fonctionnelles.

Depuis les années 80, la productivité des travailleurs aux États-Unis et dans le monde n’a cessé de croître, tandis que leurs salaires restaient en jeu ou perdaient du pouvoir d’achat. Vous n’avez pas besoin d’être un génie pour comprendre où est passée cette différence entre la productivité et les salaires. Mais ils en veulent plus.

Une autre explication tendre pour légiférer contre la volonté du peuple consiste en l’idée classique que ce ne sont pas les syndicats qui gouvernent, mais les gouvernements élus. Mais rien qu’en France, 70 % de la population est opposée à la réforme des retraites et son « gouvernement élu par le peuple » est réticent à écouter. Cette surdité est classique et, à son tour, se justifie par une autre idéologie : « le gouvernement doit agir de manière responsable, pas avec démagogie ». Encore une fois: responsabilité à l’égard du capital pour harcèlement; la démagogie pour exercer la démocratie, donner au peuple son droit de décision.

Tout cela pourrait être résolu avec un système de démocratie plus direct, quelque chose que beaucoup d’entre nous écrivent depuis des décennies, en particulier à partir des nouveaux outils numériques. Si les Français avaient pu décider par référendum régulier, la France n’aurait pas vu les manifestations massives et la destruction urbaine qui se déroulent depuis des semaines. Mais les citoyens ordinaires n’ont pas d’autre outil efficace que la rébellion, dans les cas violents. Évidemment, cette idée de démocratie directe est dangereuse parce que c’est une idée en faveur de la démocratie réelle.

Comme le montre l’histoire, le capitalisme est, par nature, antidémocratique. Il s’est développé à partir de la brutalité et des massacres dans ses colonies; il a été renforcée par l’esclavage; il a été consolidé avec les multiples dictatures militaires en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Même dernièrement, il a été plus qu’à l’aise avec le communisme chinois. Lorsque le capitalisme a coexisté avec les démocraties libérales, ce n’était pas parce que c’était un système démocratique mais parce qu’il est un grand manipulateur, au point de convaincre la moitié du monde que la démocratie et le capitalisme sont la même chose, puisque les deux sont basés sur la liberté. Ce qu’il oublie de clarifier, c’est que la démocratie se réfère à la liberté des peuples et que le capitalisme la comprend comme la liberté du capital, c’est-à-dire de l’élite dictatoriale qui possède aujourd’hui non seulement la plupart des richesses du monde, mais contrôle le système financier mondial et le quasi-monopole des médias dominants.

Les Français ont une longue tradition de protestation sociale, mais ils peuvent aussi se permettre de se rebeller dans les rues, car peu les accuseront d’être sous-développés. Les Uruguayens, malgré leur longue tradition d’institutions démocratiques telles que l’éducation, la santé et les droits individuels, sont beaucoup plus timides dans leurs revendications. Son oligarchie, comme tous, a également une longue tradition de stigmatisation des avancées de la démocratie réelle, accusant toute revendication populaire d’être communiste (une recette inoculée par la CIA dans les années 50 et survivante trente ans après la guerre froide) tout en le faisant au nom de la démocratie et de la liberté.

La (re)solution pour la France n’est pas facile dans un contexte international détourné par les maîtres du capital qui exigent et même convainquent leurs esclaves de travailler plus longtemps pour la même ration et, de plus, de le faire de leur propre gré. Pour l’Uruguay, en raison de son contexte et de sa taille, c’est plus que difficile. Mais dans les deux cas, si la résistance au diktat économique réussit, ils pourraient être des exemples dangereux.

Pour ces raisons, la seule solution à long terme est l’union d’un nouveau courant de pays non alignés ou associés par des intérêts communs (culturels et économiques) comme, par exemple, l’Amérique latine.

Mais bien sûr, nous savons tous que la solution séculaire du capitalisme impérial a été la désunion, la démobilisation et la démoralisation des colonies et de leurs propres travailleurs. Cette inoculation idéologique est si longue qu’aujourd’hui, dans les anciennes colonies, les mouvements nationalistes sont en plein essor.

Avec un détail : ils ne sont pas le nationalisme anticolonialiste des années 60 en Afrique, par exemple, mais un reflet isolé et parasitaire du nationalisme impérial dans leurs propres colonies.

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