Faut-il avoir peur des islamistes ?

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La visite du commandant Bouregaa, Mustapha Bouchahchi et Samir Belarbi à Ali Belhadj à son domicile, ainsi que la rencontre entre Sadek Hadjeres et Larbi Zitout, et d’autres rencontres avec des militants du mouvement Rachad, ont suscité des interrogations et des débats sur les réseaux sociaux. Certains internautes se sont dits choqués que des démocrates laïcs comme Moshsen Belabbès, Zoubida Assoul et autres universitaires acceptent de participer à des débats sur la chaîne de télévision Al Magharibia dirigée par un des enfants de Abbassi Madani, ancien dirigeant du FIS dissout.

Ce débat a pourtant été tranché par le Hirak où islamistes et non islamistes se côtoient tous les vendredis pour demander une transition vers un régime civil. La conscience collective du Hirak a compris que la société contient plusieurs courants idéologiques qui ne doivent pas s’exclure, même s’ils doivent s’opposer pacifiquement sur le terrain électoral pour laisser les électeurs décider à qui confier la majorité parlementaire pour une période de 5 ans.

Les rencontres entre islamistes et non-islamistes, dans la phase actuelle, sont nécessaires pour écrire les règles de jeu de la compétition pacifique pour le pouvoir.

On ne peut pas interdire à un islamiste d’être un islamiste, mais on peut exiger de lui qu’il signe un contrat où il s’engage à ne pas utiliser la violence, à ne pas décider qui est musulman et qui ne l’est pas (interdiction du takfir), à accepter que la croyance religieuse ne soit pas une affaire de l’Etat. L’urgence est d’arriver à un consensus qui stipule que l’Etat est un bien public et que la religion un bien privé.

De plus en plus d’islamistes sont ouverts à ce consensus qui vise à établir les règles juridiques entre le citoyen et l’Etat et non pas entre les citoyens et Dieu. Ce qui lie le croyant à Dieu, c’est la foi et non la règle juridique. La raison est simple : Dieu peut pardonner un péché, mais l’Etat ne peut pas pardonner un délit.

L’autre argument avancé par ceux qui sont hostiles à toute rencontre avec les islamistes est qu’ils ont du sang sur les mains. Il est vrai qu’au lendemain de l’annulation des élections remportées par le FIS, des islamistes ont pris les armes et ont exercé une violence militaire. Il s’est ensuite installé une période de confusion où les Algériens se posaient la question « qui tue qui ? ».

La question était légitime car dans tout Etat la culpabilité est établie par des juges à la suite d’un procès équitable. Or durant cette période trouble, c’étaient les communiqués de la police qui désignaient le coupable. En la matière, il ne s’agit pas d’être contre ou pour les islamistes ; il s’agit d’être pour le droit qui a des règles qui désignent le coupable.

L’islamisme est un phénomène idéologique (idéologisation de la religion) qui provient de la société et de son histoire. L’Algérie a connu la modernisation à partir de l’extérieur à travers la domination coloniale. (Nous aurions besoin de définir ce qu’est la modernisation. Nous le ferons plus tard). Cette modernisation suscite des peurs quant à l’identité culturelle et religieuse. Le sens des perspectives historiques (que nous devons avoir) est de dire à ceux qui expriment cette peur que notre société est aussi capable de produire une modernisation endogène à laquelle aujourd’hui s’oppose l’interprétation médiévale de l’islam.

Un islam compatible avec la liberté de conscience est possible. C’est ce qu’il faut expliquer aux islamistes et qu’ils renoncent à excommunier des musulmans (takfir) et qu’ils acceptent le principe du monopole de la violence à l’Etat, violence exercée dans le cadre de la loi.

L’islamisme est susceptible de suivre l’évolution de pays européens qui ont vu apparaître des partis dits démocrates-chrétiens ou sociaux-démocrates. Rachad en Algérie est sur cette voix, ainsi que Ennahdha en Tunisie. Ceci indique un début de sécularisation de la conception politique des courants islamistes ou ce que des universitaires appellent le post-islamisme. Surtout que la sécularisation des pratiques sociales est plus avancée dans la vie quotidienne qu’on ne le croit.

Je prends un exemple. Une femme qui se verrait proposer un mariage religieux (deux témoins et un imam d’occasion) dirait non. Elle exigera la transcription du mariage à la mairie, parce qu’elle sait qu’elle a besoin de la protection de l’Etat pour la stabilité de son mariage. Même si elle est islamiste, elle ne fera pas confiance à la seule foi religieuse de son futur mari.

C’est cela la sécularisation des rapports sociaux qui sont plus en avance que le discours tenu par les gens sur eux-mêmes. Ce qu’il faut, c’est créer un discours nouveau conforme à ces rapports sociaux.

Le niveau politique : Les commentaires hostiles à cet argument contiennent une contradiction de taille. Leurs auteurs demandent que les militaires ne dominent plus l’Etat et, par ailleurs, ils veulent exclure un courant politique qui pèse, me semble-t-il, entre 15 et 20% de l’électorat. Comment l’exclure si ce n’est pas en appelant l’armée ? Comment faire ? Créer un Code de l’Indigénat de l’administration coloniale où une voix d’un non-islamiste vaudrait 5 voix d’un islamiste ?

Il faut garder raison et reprendre le contrat de Rome (Sant’Egidio), et y inscrire en outre le scrutin à la proportionnelle. Les islamistes auraient 15à 20% d’élus à l’Assemblée Nationale et ils seront obligés de faire des alliances et de s’adapter à la réalité. Car un islamiste qui affirme que « le Coran est la constitution », il faudra lui apprendre le contenu du Coran et ce qu’est une constitution.

Voyez-vous, c’est parce que j’ai lu Kant que j’arrive à cette conception des choses. Un des impératifs catégoriques de la morale de Kant est : « ne fais pas autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». Il se trouve que c’est aussi un hadith du prophète. C’est aussi parce que j’ai lu Marx que je suis toujours avec les classes sociales exploitées et avec le peuple, même quand ils ont une conscience peu claire de leurs intérêts.

C'était la position de Sadek Hadjeres au congrès du Pags avant de quitter le parti. L’intellectuel doit participer à la prise de conscience des masses et non pas les combattre. C’est la position de l’Iranien Ali Shariati qui a créé un courant politique islamo-marxiste. Enfin, j’ai appris de Bourdieu à écouter la société et non pas à parler en son nom. Un sociologue, disait-il, fait parler la société, et ne parle pas en son nom.

Si nous arrivons à construire un champ politique où il n’y a pas d’ennemis à exterminer, mais seulement des adversaires politiques qui s’affrontent par la compétition électorale et qui acceptent le verdict des urnes et l’alternance électorale, nous serons alors prêts à construire la démocratie au profit de tous.

En conclusion, les islamistes sont un courant d’opinion dans la société et il n’est pas question de faire appel à l’armée pour les exclure du champ politique. Il faut les combattre idéologiquement et pacifiquement, si on ne partage pas leur vision de l’Etat, et avoir confiance dans la société qui, lors des élections, choisira la majorité parlementaire. Deux perspectives se présentent : demander aux militaires d’éloigner par la violence les islamistes du champ politique, ou demander aux militaires de se retirer du champ politique pour affronter pacifiquement les islamistes sur le terrain idéologique. Personnellement, j’ai choisi la deuxième perspective.

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