Protestations unanimes contre le relèvement du taux directeur par la banque centrale : Qui ne veut vraiment pas de la croissance ni de la paix sociale ?

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Les Tunisiens se sont réveillés hier au bord de la crise de nerfs, en apprenant le relèvement par la Banque centrale du taux directeur, porté à 7,75%, et par contrecoup du taux moyen d’intérêt sur le marché monétaire bientôt à hauteur de 8,25%.

C’est qu’un très grand nombre de travailleurs salariés, une grande partie de la classe moyenne vit à crédit et que les intérêts de ses emprunts bancaires pour un logement, un terrain, une voiture ou un évènement d’importance, vont s’envoler alors que l’an passé, le TMM a été majoré déjà deux fois.

En chevalier blanc du pouvoir d’achat, le secrétaire général de l’UGTT Noureddine Taboubi, qui nous a déjà avoué avoir lui-même un très lourd crédit, s’est plaint de ce coup porté aux citoyens auprès du président de la République dont il a décidément une trop grande proximité.

Mais il a interpelé aussi les premiers concernés par cette décision, le chef du gouvernement et le gouverneur de la Banque centrale, les accusant de punir indirectement les salariés pour avoir exigé et obtenu des majorations salariales, retirées par ce relèvement des taux d’intérêt avant même qu’elles ne soient versées aux bénéficiaires.

L’UTICA n’est pas en reste dans ce tollé. Les patrons appréhendent une baisse de près de 30% de leur capacité de financement entre leurs charges et la hausse des taux d’intérêt. L’UTAP prend le relais de ces protestations car les agriculteurs sont lourdement grevés dans leurs revenus par des crédits ajoutés aux difficultés structurelles de l’agriculture.

Même le leasing devenu très en usage chez nous, affirme n’être plus que dans des opérations perdant-perdant. L’état aussi subira l’impact de cette décision quand il emprunte lui-même sur le marché financier intérieur.

Seul les banques pourront un tant soit peu se recapitaliser en profitant du différentiel de taux d’intérêt entre leurs propres emprunts et ceux qui se financent auprès d’elles. Les épargnants, eux, non pas les petits (y en a-t-il encore ? où en est l’évolution de l’épargne en Tunisie ?!) mais les puissants détenteurs de dépôts et de placements à long terme, vont se réjouir de la décision de la BCT.

L’impact négatif de cette décision de la Banque centrale est donc très grave, ce que semblent souligner tous les experts qui y réagissent dans les médias. Appelé à être auditionné par l’Assemblée des représentants du peuple, le gouverneur de la BCT explique en conférence de presse qu’il a les yeux rivés sur les équilibres monétaires et sur les déficits publics, et qu’il plie sous la pression inflationniste.

Pour enrayer l’envol des prix et à défaut de pouvoir assécher le volume incontrôlé d’argent en circulation, il affirme devoir agir sur la consommation en freinant le crédit à la consommation, qu’il décourage par le relèvement du taux d’intérêt.

Or d’une part le taux d’inflation monté à 7.8% l’été dernier et que le FMI annonçait à 8% pour fin 2018, est redescendu à 7.1% en janvier 2019 : c’est ce dont se félicitait Fayçal Derbel, conseiller du chef du gouvernement tandis que d’autres analystes contredisaient ce chiffre considéré comme factice, dans le mesure où le calcul du taux d’inflation prend aujourd’hui comme année de référence 2015 et non 2010. De plus l’inflation semble avoir baissé en 2019 par rapport à 2018 parce que cette dernière année a subi le contrecoup de la somme des taxes par la loi de Finances 2018 !

De ces repères d’analyse, le gouverneur Marouane Abassi se tire d’affaire en assurant que l’inflation vient de commencer à baisser mais qu’elle s’élèverait à un pourcentage à deux chiffres s’il ne lui portait pas un coup d’arrêt en relevant le taux directeur. Dès lors, il annonce pour la fin de cette année une baisse de l’inflation à 6.8%.

Pourtant il ne dit pas que cette inflation est une inflation importée, ce que montre d’ailleurs le déficit énorme de notre balance commerciale (plus de 19 milliards de dinars). En garant de notre capacité à importer, il sait bien que nous sommes descendus en deçà des 90 jours fatidiques d’importation en devises, à seulement l’équivalent de 84 jours d’importation aujourd’hui !

Sans doute n’est-ce pas à lui de montrer du doigt les catégories de ces importateurs qui font du mal à la nation, propriétaires de franchises à tort et à travers et grand groupe d’hypermarchés nuisant à la nation et sollicitant la bourse des consommateurs, ou encore les concessionnaires d’automobiles de parcs de luxe. Pires que ces derniers, se sont les importateurs stockant les marchandises bas de gamme de Turquie ou de Chine, revendues à la sauvette ou dans les souks « fer fer » ou dans des boutiques éphémères.

Marouane Abassi s’interroge t-il sur des envols subits des prix entretenus par des pénuries improvisées ou n’est-ce pas son problème ? J’entendais l’autre jour évoquer comment le président turc Tayyip Erdogan avait bloqué certaines spéculations en obligeant les municipalités à devenir des espaces de distribution de produits alimentaires à des prix contrôlés. C’est une idée que l’UGTT pourrait reprendre à son compte en invitant ses Unions régionales à s’offrir en marchés du producteur au consommateur : c’est une solution collatérale qui valoriserait l’UGTT et déjouerait la spéculation.

Le gouverneur de la Banque centrale s’est-il posé la question de l’impact de cette décision sur la croissance ? Celle-ci évaluée à 2.5% du PIB est insuffisante pour donner de l’emploi à quarante milles nouveaux diplômés et le chômage se serait encore alourdi de quatre milles demandeurs d’emploi supplémentaires. La croissance n’est déjà plus soutenue par la consommation depuis quelques mois et l’investissement, déjà en recul, va encore plus battre de l’aile avec les difficultés du patronat consécutives à la décision de la Banque centrale.

Quant à la paix sociale, à peine semble-t-elle revenue depuis les accords salariaux qu’elle va s’effriter à nouveau avec l’érosion programmée du pouvoir d’achat. D’autres négociations sont en vue pour améliorer les salaires des instituteurs, des ingénieurs, des universitaires, des médecins. Car, non et non se ne sont pas ces salariés qui sont « coupables, forcément coupables » du renchérissement des prix.

Bien sûr les questions à Marouane Abassi ne sont que des questions rhétoriques, de fausses questions. Car il sait bien, lui, que du côté du gouvernement il y a des décisions à prendre. Il semble lui dire : résistez contre l’inflation, luttez contre la spéculation, traquez le commerce parallèle et la contrebande, récupérez les avoirs en devises et l’argent indu, rationalisez et clarifiez la production et l’importation d’énergie…

C’est au prix de cette volonté et de ce courage politiques que les gens se mettront « au travail, encore au travail, toujours au travail » (encore faut-il qu’il y en ait, du travail !) et que le pays recouvrera croissance et paix sociale. Alors Messieurs du gouvernement, à bon entendeur !

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