Mais où sont donc passés les intellectuels ?

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Il est peu de jours sans que nos écrans de télévision ne nous montrent avec complaisance les longues files de réfugiés fatigués, épuisés, harassés, qui arpentent les routes en direction de nos vieux pays d’Europe.

Hommes jeunes encore ou plus mûrs, jeunes femmes avec des enfants, ils fuient leur pays théâtre des pires atrocités de tous bords. Ils ne rêvent que de vivre en paix sur leur terre, dans leur village, dans leur ville. Mais ils sont contraints de fuir pour ne pas mourir sous les bombes ou torturés, flagellés, lapidés, humiliés. Et que faisons-nous ?

Il n’est pas de jours ou presque sans que les médias ne nous montrent des bateaux de fortune surchargés de migrants qui tentent de traverser la Méditerranée. Malgré le risque de se noyer en pleine mer ou au fond des cales, ils quittent leurs pays, leurs terres, leurs villages, leurs quartiers pour fuir les guerres tribales ou religieuses ou simplement la faim et la maladie. Et que faisons-nous ?

En dépit de tous nos serments de solidarité, d’humanité et de partage, nous ergotons, nous calculons, nous chicanons. J’en veux bien 10000. J’en veux bien 100000. Je n’en veux aucun. Dehors ! Repartez chez vous ou ailleurs, mais pas chez nous. Face à cette crise morale provoquée par ces afflux massifs de réprouvés des voix s’élèvent bien sûr pour s’insurger contre ces refus. Mais qui les entend vraiment ?

Le parc du château de Versailles accueille actuellement une trompe d’acier de 60 mètres de longueur, œuvre de l’artiste contemporain Anish Kapoor. On peut apprécier ou non ce Dirty Corner monumental. Mais il est le produit d’une démarche artistique et mérite, à ce titre, le respect que l’on accorde généralement aux œuvres d’art. Or il a été vandalisé à plusieurs reprises dont une par des inscriptions explicitement antisémites. En dépit des vertueuses indignations entendues lors des destructions des temples de Palmyre par les sauvages de Daech, peu de voix se sont élevées pour protester.

Ni les hôtes, ni la ministre de la culture, ni le premier ministre, ni le Président n’ont clamé leur sainte colère. Les députés sont demeurés muets et les journalistes ont traité la nouvelle comme un simple fait divers de plus On peut donc, chez nous aussi, saccager une œuvre d’art en toute impunité. On peut donc, chez nous aussi, exprimer par des graffitis des idées racistes et antisémites en toute impunité. Où sont les grandes voix qui criaient jadis leur indignation ? Où sont les Émile Zola ? Les Raymond Aron ? Les Jean-François Revel ? Où sont les Jean-Paul Sartre et les Stéphane Hessel ? Où est la voix de l’Église ?

Où sont les tribunes incendiaires en "une" des grands journaux d’opinion et relayées par les autres médias ? Celles qui parviennent à percer le mur de l’indifférence ne suscitent guère que de maigres polémiques journalistiques. Pourquoi avez-vous dit ceci ? Pourquoi avez-vous écrit cela ? Qu’avez-vous à répondre à M Untel ? Que pensez-vous de la phrase de Mme Unetelle ? Les réponses fusent encore du tac au tac. Ce n’est pas moi, c’est l’autre ! Je n’ai jamais prononcé cette phrase. Vous avez coupé après la virgule. Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Et puis d’abord c’est celui qui le dit qui y est ! Peut-on atteindre des sommets de pensée philosophique sur de telles bases ?

Pour un Jean D’Ormesson qui ne craint pas d’utiliser son entregent et sa renommée pour plaider la cause des chrétiens du Moyen-Orient martyrisés, pourchassés et exterminés, combien d’académiciens demeurent silencieux ? Ils devraient envahir les plateaux de télévision, les colonnes des journaux, les écrans du web et dire la fraternité, la tolérance et le refus du racisme. Les rideaux des théâtres devraient s’ouvrir d’abord sur des rappels à la fraternité, à la tolérance et au refus du racisme.

Avant même les premières mesures, les concerts et les opéras devraient évoquer la fraternité, la tolérance et le refus du racisme. Où sont donc passés nos intellectuels ?

Mais il faut être honnête. Sans doute tentent-ils vraiment de se faire entendre. Mais noyée au milieu de la cacophonie ambiante leur voix reste inaudible. Une "info" chasse l’autre. Nous n’avons pas le temps, madame, monsieur, de vous écouter ! Il faut "faire le buzz" pour parvenir à percer le brouhaha médiatique ! Pour sortir enfin du spectacle et entrer dans la réflexion.

Mais les chemins du futur étant imprévisibles, peut-être une voix malgré tout parviendra-t-elle un jour à se faire entendre pour dire l’humanité ? Et nous donner encore bien des choses à penser.

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