Non je n'ai rien oublié

N'en déplaise à ceux et celles qui sont nostalgiques des années de plomb et qui sont dans le déni de l'avènement d'une vague déferlante de contestation populaire en Tunisie durant le dernier trimestre de l'année 2010 notamment au mois de décembre, qui a connu sa consécration le 14 janvier 2011, d'une véritable insurrection populaire qui a gagné l'ensemble du pays, qui s'est érigée en une réelle rupture avec l'ordre établi et qui fut identifiée à l'échelle nationale et internationale comme une "Révolution".

Je n'ai rien oublié de ce qui a précédé cet évènement historique, je n'ai rien oublié du diktat politique et moral que la majorité d'un peuple a subi pendant 23 ans, d'un règne dictatorial déguisé en régime aux faux semblants et aspirations à la démocratie.

Je ne peux oublier la jeunesse confisquée des Tunisiens de ma génération dont les aspirations professionnelles, politiques et de simple vie répondant à leurs valeurs humaines et intellectuelles ont été occultées et réduites au silence.

Je ne peux oublier ces longues années, ces deux décennies où une dizaine de famille et leur entourage détenaient les plus importants secteurs économiques du pays et régnaient sur le monde des affaires en maîtres absolus et seigneurs de la corruption en faisant profiter toute une nébuleuse d'individus qui leur ont prouvé leur vassalité.

Non je n'ai pas oublié non plus la lobotomisation politique de la vie publique, le monopartisme, le mono langage, la décision unilatérale, l'imposture d'un homme inculte et sa spoliation des institutions constitutionnelles et publiques.

Non je n'oublierai jamais l'humiliation des Tunisiens vécue dans leur chair par la pauvreté, le mépris de leurs besoins matériels et sociaux, le déni de leurs droits économiques et sociaux. L'humiliation du tunisien dans sa crainte de s'exprimer, de relever la tête et de s'opposer à cet ordre plus qu'établi.

Non je n'ai pas oublié non plus, le "bunkerisation" de l'administration, une population administrative menée au pas par un parti unique qui se disait être le prolongement de celui qui avait libéré le pays du joug du colonialisme mais qui en fait était en scission totale avec ses valeurs et esprit.

Une administration en otage qui se faisait écho des desiderata de l'establishment et où les carrières étaient sujettes au bon Vouloir du Prince. L'allégeance au parti et à l'oligarchie familiale était le créneau le plus admis et payant. Concevoir les choses autrement, avoir un esprit libre et digne vous vaut la stagnation, l'obstruction de vos droits administratifs et la traversée de désert.

Des compétences, des esprits libres et intègres ont longtemps vécu dans la spoliation de leurs rêves et possibilités légitimes de participer au développement du pays.

Je ne peux pas oublier que, n'étaient pleinement heureux que ceux qui étaient au cœur du système de corruption, les soldats zélateurs du contrôle politique et ceux " les ayecha" qui fermaient les yeux et se contentaient de vivoter tout en étant fascinés par l'esprit du vol, de la délinquance politique et de l'escroquerie en tous genres. C'étaient les valeurs fondamentales de ces deux sombres et honteuses décennies.

Cette rupture avec l'ordre établi, cette profonde aspiration populaire à un changement fondamental sur tous les plans n'a pas trouvé sa pleine traduction dans notre réalité le long de ces 11 ans. Quelques acquis comme la liberté d'expression, le multipartisme et quelques avancées constitutionnelles et institutionnelles ont vu le jour et la pratique mais la corruption demeure vivace, les inégalités sociales, le chômage, le déséquilibre régional, la Criminalité, une économie en quasi-banqueroute... En raison d'une mauvaise gouvernance par une classe politique le plus souvent incompétente.

A présent, on assiste à un grand blocage politique, institutionnel, économique et social. Un statuquo qui paralyse les issues positives et nous fait régresser encore une fois au lieu d'avancer.

Non je n'ai rien oublié de notre histoire récente et de son incidence sur cette dernière décennie car si nous sommes aussi entravés dans notre développement sur tous les plans c'est parce que 23 ans ajoutés à une vingtaine d'années d'avant de gouvernance autocratique, de corruption, de népotisme et de politiques économiques impopulaires qu'elle soient coopérativistes ou libérales sauvages ont accouché d'une classe politique hasardeuse et aventureuse sans vision politique appropriée, et d'une économie hybride livrée à elle-même, des gouvernants qui ne peuvent décemment sauver le pays de lui-même, de ses démons et profonds handicaps puisque encore une fois et fort malheureusement pour notre pays, ils sont pathétiquement en deçà de la gravité du moment historique.

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