Crise politique en Tunisie : c'est "un coup de force", pas encore "une dictature"

Il est encore trop tôt pour dire que nous sommes dans une dictature mais il y a eu un coup de force constitutionnel. Il est clair qu'il y a une utilisation abusive de ce fameux article 80 de la Constitution tunisienne qui ressemble à l'article 16 de la Constitution française : pas de consultation du président du Parlement, pas de consultation du chef du gouvernement. C'est un coup de force inconstitutionnel, anticonstitutionnel, mais de là à parler de dictature, il faut être prudent et attendre.

Il y a deux scénarios possibles : soit c'est un coup de force provisoire, temporaire, qui vise pour le président de la République à reprendre son avantage, à imposer ses ministres, ses politiques publiques, soit c'est le début d'un processus autoritaire, de personnalisation du pouvoir, de présidentialisation du pouvoir et le passage de la deuxième République démocratique vers une troisième République très incertaine dans son orientation qui serait beaucoup plus autoritaire que celle de la deuxième.

La crise sanitaire

La crise sanitaire a été un catalyseur, un révélateur, un accélérateur. On était déjà dans une crise politique institutionnelle profonde. Les deux têtes de l'exécutif ne se parlaient plus, le président de la République n'a jamais caché depuis sa campagne électorale qu'il n'aime pas beaucoup les partis politiques, qu'il considère que c'est la magouille, la corruption. Il a toujours voulu gouverner un peu seul face à une Assemblée qui a aussi fait énormément de bêtises, a été incapable de gérer la crise sociale, économique, sanitaire.

La Tunisie est très divisée et une grande partie des Tunisiens considère que c'est lui le continuateur de la révolution, d'une certaine forme de démocratie, face à une Tunisie beaucoup plus inquiète qui pense que c'est la première étape vers un retour à un régime très autoritaire, présidentiel, personnalisé. Ces deux Tunisie se regardent en chien de faïence mais on ne peut pas parler aujourd'hui de conflit et surtout pas de guerre civile. Nous ne sommes pas encore dans ce scénario catastrophe.

Incurie de la classe politique

Il y a effectivement une incurie de la classe politique : les partis politiques, le bloc islamo-conservateur a mal géré cette crise. Il s'est enfermé dans des querelles politiciennes, des affaires financières, d'affairisme. Face à ça, le président de la République a lui fait preuve d'autisme politique. C'est un homme seul qui n'a pas de parti au Parlement. Il a voulu défendre son pré carré présidentiel.

Il faut espérer qu'on revienne à une sorte de ligne de sagesse républicaine, notamment pour que la Tunisie puisse rester cette exception, ce modèle démocratique qui a montré la voie au monde arabe en 2011 en chassant le dictateur Ben Ali.

Une démocratie est toujours fragile et elle l'est encore plus quand elle sort de 50 ans d'autoritarisme, de 23 ans de dictateur Ben Ali. De ce point de vue-là, il est vrai que la Constitution avait encore laissé des pouvoirs au président de la République, il aurait peut-être fallu opter pour les Tunisiens pour un régime parlementaire à l'allemande ou à la suédoise, en réduisant les pouvoirs du Président.

On est là dans une dualité du pouvoir. Le pays souffre énormément de problèmes économiques et sociaux, indépendamment de la volonté de tous les gouvernants. Cela favorise les entreprises autoritaires et hasardeuses, comme celle que fait un peu le président de la République. Il ne s'agit pas de donner une vision négative de ce président mais il s'agit de dire quand même qu'il a une conception très autoritaire et très personnelle du pouvoir et de la démocratie tunisienne.

L’orientalisme politique a de beaux jours devant lui

Il y a l’orientalisme des Occidentaux qui considèrent que les peuples arabes sont éternellement mineurs et qu’il leur faut donc des dictateurs, des hommes forts pour les gouverner. Edward Saïd a écrit des pages magnifiques sur cette premières forme d’orientalisme.

Il y a aussi l’orientalisme de certains « intellectuels arabes » qui considèrent que la démocratie parlementaire et le pluripartisme ne sont pas vraiment adaptés aux sociétés arabes et qu’il est préférable de confier leur destin à des hommes providentiels qui comprennent instinctivement les besoins du peuple.

Et au bout du compte, il y a des apprentis sorciers ou des « aspirants dictateurs » qui, avec l’appui des puissances occidentales attachées au credo sécurité/stabilité, continuent à infantiliser les peuples arabes et à les éloigner toujours plus de l’horizon démocratique.

L’orientalisme politique a de beaux jours devant lui…

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