Kaïs Saied veut remplacer l’islamisme à barbe par l’islamisme imberbe !

La mention d’un référent islamique dans la Constitution est-elle un gage de démocratie ou, au contraire, d’autoritarisme s’appuyant sur la religion comme mode de contrôle social ? En tout cas, cette proposition émise par Sadok Belaïd, un constitutionnaliste à la retraite proche du Président de la République, entre en dissonance avec la rhétorique moralisatrice de Kaïs Saied.

Le président actuel n’est ni un laïque, ni un partisan du sécularisme « à la Bourguiba ». Sa rhétorique politique est imprégnée de multiples références religieuses et à l’histoire prophétique (Sîra). Kaïs Saied fait partie de ceux qui contribuent aujourd’hui à réintroduire des référents religieux comme normes politiques, morales et sociétales en Tunisie. Certes, il n’est pas islamiste mais partisan de l’ordre moral reposant sur l’islamité séculaire de la société tunisienne.

La proposition de supprimer la référence à l’islam de l’article 1 de la Constitution (« La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime ») entre en contradiction avec ses propos et sa pratique du pouvoir. Car, Kaïs Saied n’est pas un Bourguiba du XXIe siècle ou un Mustapha Kemal tunisien. Il ne souhaite pas instaurer en Tunisie un État laïque « à la française ».

Au contraire, dans ses discours, Kaïs Saied surenchérit constamment sur les référents religieux. Il n’hésite pas à mentionner le Coran, des extraits de la vie du Prophète et se pense lui-même comme un calife bien guidé ! Du coup, on comprend mal cette proposition de suppression de l’islam dans la Constitution.

L’interprétation la plus probable est qu’il cherche à instrumentaliser l’article Premier de la Constitution pour légitimer l’interdiction du parti islamo-conservateur Ennahdha qui reste, malgré son affaiblissement politique et électoral, son principal concurrent.

Il s’agit pour lui de jouer sur la peur de l’islamisme pour neutraliser son principal adversaire. Cette réforme relève d’une manœuvre constitutionnelle qui s’inscrit dans un dessein politique : éradiquer le mouvement islamiste tout en récupérant son capital symbolique. Promouvoir une forme d’islamisme d’État sans les islamistes !

En somme, Kaïs Saied veut remplacer l’islamisme à barbe par l’islamisme imberbe ! Il est possible d’ailleurs qu’il renonce de lui-même à réviser l’article 1 de la Constitution, car cette réforme affaiblirait sa rhétorique identitaire qui flatte constamment le sentiment religieux des Tunisiens.

Donc, au final, le président tunisien se retrouve avec une réforme qui le fragiliserait auprès de ses alliés arabo-musulmans, qui ne le recrédibilisaient pas auprès des pays occidentaux et pour laquelle, hormis quelques sons de cloches favorables dans les milieux laïcistes franco-français, ne lui apporterait aucun gain politique réel.

Un autre élément ne doit pas être ignoré. Celui de la normalisation avec Israël que ses alliés arabes mettent dans la balance. C’est notamment le cas des Emirats et de l’Egypte. L’un des ressorts de leur mécontentement est que Kaïs Saïed ne veut pas normaliser ses relations avec Israël.

La Tunisie reste l’un des pays arabes les plus hostiles à cette normalisation, avec bien sûr l’Algérie qui se tient prête à intervenir dans le jeu tunisien si cette normalisation advenait. Alger ne veut pas d’un deuxième Maroc à ses frontières, d’un alignement tunisien sur la ligne chérifienne. Une pax makhzenienne dans la région est sa hantise.

Je pense sincèrement qu’il n’en veut pas. Il s’est fait élire, en 2019, sur cette position antisioniste et propalestinienne, en se présentant comme un défenseur naturel des Palestiniens. Il est à ce titre un vrai produit du nationalisme arabe. Les Émirats tentent bien de le rassurer sur les effets positifs d’une normalisation « à la marocaine », mais de l’extrême gauche aux ultra-conservateurs tunisiens cela ne passerait pas.

N’oublions pas que l’invitation d’Ariel Sharon par Ben Ali au sommet mondial de l’information, en 2005, a largement contribué a dégradé son image auprès des Tunisiens. Une normalisation avec Israël signerait probablement la fin du régime de Kaïs Saied : il perdrait tous ses soutiens internes. La Tunisie n’est pas le Maroc, en dépit de leur alignement stratégique sur le camp occidental.

Le soutien de l’Egypte est politique, idéologique et sécuritaire. Notamment dans la matière de coopération sécuritaire, et de conseils pour éradiquer le parti islamiste Ennahdha. L’Égypte pense naïvement qu’elle peut reproduire l’expérience égyptienne en Tunisie. Sa position est de faire interdire les Frères musulmans, les emprisonner, voire en liquider quelques-uns au passage, sauf que l’armée tunisienne n’est pas l’armée égyptienne, que la population tunisienne a une autre culture politique.

Du côté des Emirats, le soutien n’est pas que sécuritaire, il est surtout financier. Actuellement, les Emiratis n’ouvrent qu’à moitié les canaux de soutien financiers à la Tunisie, bien qu’ils appuient toujours la « dérive » sécuritaire tunisienne. Ils n’ont pas mis tout leur poids dans le soutien économique attendu par Tunis, à cause de l’absence de normalisation avec Tel Aviv.

Il y a aussi la donne américaine à prendre en compte. Si le Département de la Défense soutient l’armée tunisienne dans le cadre de leurs accords de coopération militaire et de lutte contre le terrorisme, le département d’État (Affaires étrangères) et la Maison Blanche demeurent très hostiles au président tunisien.

En ce qui concerne l’Arabie saoudite, son soutien au régime tunisien est auto-limité en raison des pressions américaines. La question d’Ennahdha est aussi une différence entre Riyad et Abu Dhabi car l’anti-frérisme (l’hostilité aux Frères musulmans) n’est pas aussi prononcé chez les Saoudiens que chez les Emiratis. Il existe encore des passerelles entre Ghannouchi et l’Arabie saoudite. Riyad n’est pas sur une ligne éradicatrice qui est celle du Caire et d’Abu Dhabi mais sur une ligne makhzenienne (marocaine) consistant à donner aux Frères musulmans quelques sièges pour les intégrer dans la vie politique. Les Émirats sont aujourd’hui le fer de lance de cette volonté d’exporter la normalisation avec Israël dans le monde arabe.

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