Trump en Asie : les vrais enjeux de la mission concernent le renminbi

Lors de la visite de Trump en Asie, nous ne pouvons manquer de réfléchir au rôle de la monnaie chinoise sur ce continent et dans le monde.

Ces derniers mois, dans les plis de l’actualité économique, une révolution s’est opérée qui pourrait changer l’ordre mondial : la montée rapide du renminbi, la monnaie chinoise, en tant que monnaie internationale. Il ne s’agit pas d’un processus soudain, mais du résultat d’un plan à long terme que Pékin a construit patiemment et méthodiquement, étape par étape, à l’ombre de l’hégémonie monétaire américaine.

Aujourd’hui, cette stratégie porte ses fruits. Alors que le dollar fait face à sa plus profonde crise depuis des décennies, la Chine s’apprête à faire de sa monnaie l’un des piliers du système financier mondial. Selon les données de la Banque populaire de Chine (PBOC), le renminbi est désormais la deuxième monnaie la plus utilisée dans le commerce international, représentant 7,6 % des paiements de financement du commerce mondial. Il y a seulement trois ans, il n’était que de 1,8 %. Dans le même temps, la part du commerce extérieur chinois établie en renminbi a dépassé 30 %, contre 10 % il y a dix ans.

Il ne s’agit pas seulement d’un chiffre comptable, mais de la photographie d’un nouvel équilibre économique. Aujourd’hui, plus de la moitié des transactions transfrontalières de la Chine sont libellées en monnaie nationale, et plus de 35 pays ont conclu des accords d’échange avec Pékin pour utiliser le renminbi dans les paiements bilatéraux. La valeur totale des prêts, dépôts et obligations en renminbi à l’étranger a dépassé 3 400 milliards de yuans (environ 480 milliards de dollars), quadruplant en cinq ans.

Derrière cette croissance, il n’y a pas de slogans, mais des infrastructures : le réseau de banques de compensation en monnaie chinoise couvre désormais 33 juridictions, tandis que le CIPS (Cross-Border Interbank Payment System) – l’alternative chinoise à SWIFT – a dépassé les 175 000 milliards de yuans de transactions en 2024, soit une augmentation de 43 % en seulement un an. En d’autres termes, Pékin est en train de construire son propre système de circulation financière, autonome du système américain.

Beaucoup pensent que le détonateur de cette transformation, paradoxalement, s’appelle Donald Trump, qu’avec le retour des tarifs douaniers et la nouvelle guerre commerciale lancée lors de son second mandat, le président américain a déclenché une crise de confiance dans le dollar (sur les six premiers mois de 2025, la monnaie américaine a connu le pire effondrement des cinquante dernières années, perdant du terrain non seulement contre l’euro mais aussi contre le renminbi). Mais ce n’est pas le cas. S’il est vrai que la politique de « tarifs réciproques » a rendu le commerce international plus difficile, il est également vrai que la perception croissante que les États-Unis utilisent le dollar comme une arme géopolitique – pour sanctionner, punir ou exclure – a incité de nombreux pays ces dernières années à chercher des alternatives. Au contraire, la politique tarifaire de Trump a accéléré les conséquences négatives de la perception du dollar par le marché comme un instrument de pouvoir instable, tandis que le renminbi s’est proposé comme la monnaie de prévisibilité.

L’initiative Belt and Road, le plus grand projet d’infrastructure du XXIe siècle, est le principal vecteur de cette transformation. Dans les dizaines de pays concernés – de l’Afrique de l’Est à l’Asie centrale – la Chine finance les ports, les chemins de fer, les centrales électriques et les infrastructures numériques en renminbi et non en dollars. Ce faisant, elle crée un réseau d’économies étroitement liées à sa propre monnaie.

En 2024, la valeur des obligations internationales libellées en renminbi a dépassé 1 000 milliards de yuans, soit une augmentation de 36 % par rapport à l’année précédente. Et l’émission d'« obligations Panda » – des titres en monnaie chinoise émis par des institutions étrangères – a augmenté de 140 % au cours du seul premier semestre 2025.

Hong Kong, comme toujours, est le laboratoire financier de Pékin. 70 % du marché offshore du renminbi est concentré ici, avec plus de 940 milliards de dépôts et 224 000 milliards de yuans de transactions traitées en 2024. Et malgré la baisse des taux d’intérêt par rapport au dollar, les entreprises asiatiques continuent de préférer la monnaie chinoise : elle est plus stable, plus prévisible et surtout plus indépendante des décisions de la Réserve fédérale.

En parallèle, Pékin a lancé sa monnaie numérique d’État, l’e-CNY, qui est actuellement testée dans plus de trente villes et intégrée au projet mBridge, qui relie la Chine, Hong Kong, les Émirats arabes unis et la Thaïlande dans un système de paiement instantané basé sur la blockchain. La prochaine étape, désormais imminente, sera la naissance de stablecoins indexés sur le renminbi, conçus pour les échanges internationaux, en particulier le long de la Route de la soie.

La Chine ne veut pas remplacer le dollar par le yuan, mais redéfinir les règles du jeu. Dans le langage de Pékin, « internationalisation » ne signifie pas une libéralisation totale, mais la création d’un système commercial basé sur la confiance mutuelle, la stabilité et l’interdépendance contrôlée. C’est un capitalisme qui s’émancipe du modèle américain, mais sans le rejeter : il le retravaille.

Le nouveau système est multilatéral et non idéologique. Un monde où le commerce n’est plus l’otage des tensions géopolitiques, et où chaque pays peut choisir avec qui et comment commercer, sans subir le risque de sanctions. Ce n’est pas un hasard si la BRI (Banque des règlements internationaux) a qualifié 2022 de « tournant » pour le crédit international : pour la première fois, les prêts en renminbi aux pays émergents ont dépassé ceux en dollars et en euros. Le Kenya, l’Angola et l’Indonésie ont déjà converti une partie de leur dette souveraine en monnaie chinoise, et le Kazakhstan a émis sa première obligation offshore en renminbi en 2025 à un taux record de 3,3 %.

Alors que la Chine construit un nouvel écosystème monétaire, les États-Unis sont confrontés à une crise structurelle. Leur dette publique a dépassé 35 000 milliards de dollars, la confiance dans la Réserve fédérale est tombée à des niveaux historiquement bas et le dollar – pour la première fois – n’est plus perçu comme une valeur refuge.

Comme dans toutes les transitions historiques, le changement est silencieux mais profond. Le siècle du dollar ne se termine pas par une crise, mais par une métamorphose. La monnaie américaine ne disparaît pas, mais elle perd son aura d’invincibilité.

Le renminbi n’est pas seulement une monnaie : c’est le symbole d’un modèle économique qui s’émancipe du paradigme occidental. Un modèle qui combine le marché et l’État, le capitalisme et la planification, l’innovation et le contrôle. C’est dans cet équilibre que la Chine voit l’avenir du capitalisme mondial : un système polycentrique, pragmatique, numérique et financièrement souverain.

Le nouvel ordre mondial que beaucoup attribuent à Trump, en réalité, est né de plus loin : il est le résultat d’un processus qui a commencé à la fin de la guerre froide, accéléré par la crise de 2008 et consolidé aujourd’hui par la dédollarisation. C’est la dernière étape d’une évolution inéluctable, celle d’un monde qui ne repose plus sur un seul centre de pouvoir, mais sur un réseau d’économies interconnectées, chacune avec sa propre voix, sa propre monnaie, sa propre souveraineté.

Et comme cela arrive toujours aux tournants, ce n’est pas la puissance militaire qui définit l’avenir, mais la capacité à créer des alternatives crédibles. La Chine l’a bien compris. L’Occident, peut-être, pas encore.

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