Nous choisirions les barbares

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Air France. L’image ticket et choc qui fait jaser dans les bonnettes en excitant les claviers, celle du DRH -nom que les temps modernes donnent aux fusibles dans les laboratoires financiers de ce monde pourri -, chemise déchirée, un peu malmené, apeuré, mais bien vivant devant la caméra, délégué par la compagnie aérienne hexagonale pour signifier au personnel naviguant que les portes du Pôle Emploi et celles des spécialistes de la dépression leur sont grande ouvertes. Boris Cyrulnik dirait : faire le meilleur avec le pire. Mais cela n'a jamais été autre chose que de la soumission ! De quoi énerver plus d’un. Ce qui a été le cas et dont les médias à la solde ont largement profité. Non point pour défendre le droit des (vraies !) victimes, mais pour pointer du doigt un comportement barbare inadmissible !

Je n’irais pas par quatre chemins aujourd'hui en allongeant la sauce, alors que celle de l’ami Partageux est de celles qu’on ne retouche pas : un Etat aux mains de faussaires dont le but recherché est la régression par la misère ! Focus :

Air France annonce deux-mille-neuf-cents licenciements. Après une gigantesque purge récente. Après quatre ans de gel des salaires qu’il fallait faire des sacrifices pour assurer l'avenir. Après que Juniac le patron se soit accordé une hausse de son salaire de 70%. Après avoir provisionné 150 millions d’euros de retraite chapeau pour sa pomme. Alors des gens se sont énervés.

Je les applaudis d’avoir déchiré la chemise du DRH hyper-payé. Bon, ils ont sans doute aussi distribué quelques baffes en supplément cadeau. Mais on ne va pas trop finasser : quand on coupe du bois, ça fait de la sciure.

Je les applaudis parce que je suis opposé à la peine de mort. Et que j'imagine très bien un désespéré prendre un flingue et faire justice tout seul. Au lieu de se flinguer - un licenciement de 2 900 personnes, c'est statistiquement de 3 à 6 suicides - il va tuer un cadre ou un patron. Ou plusieurs.

Ce n'est pas arrivé en France depuis belle lune et on ne voit pas ce qui pourrait l’empêcher encore bien longtemps. Parce que la colère est grande. Alors une chemise déchirée c'est un signal d'alarme tiré : « vous arrêtez les conneries ou il y aura des drames tôt ou tard. »

Une chemise déchirée, un DRH fuyant comme un vulgaire réfugié à la frontière. Bien sûr tous les bourgeois sont en émoi. Un rappel aux petits marquis qui tordent la bouche :

En [17]93, selon que l’idée qui flottait était bonne ou mauvaise, selon que c’était le jour du fanatisme ou de l’enthousiasme, il partait du faubourg Saint-Antoine tantôt des légions sauvages, tantôt des bandes héroïques.

Sauvages. Expliquons-nous sur ce mot. Ces hommes hérissés qui, dans les jours génésiaques du chaos révolutionnaire, déguenillés, hurlants, farouches, le casse-tête levé, la pique haute, se ruaient sur le vieux Paris bouleversé, que voulaient-ils ?

Ils voulaient la fin des oppressions, la fin des tyrannies, la fin du glaive, le travail pour l’homme, l’instruction pour l’enfant, la douceur sociale pour la femme, la liberté, l’égalité, la fraternité, le pain pour tous, l’idée pour tous, l’édénisation du monde, le progrès ; et cette chose sainte, bonne et douce, le progrès, poussés à bout, hors d’eux-mêmes, ils la réclamaient terribles, demi-nus, la massue au poing, le rugissement à la bouche. C’étaient les sauvages, oui ; mais les sauvages de la civilisation.

Ils proclamaient avec furie le droit ; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l’épouvante, forcer le genre humain au paradis. Ils semblaient des barbares et ils étaient des sauveurs. Ils réclamaient la lumière avec le masque de la nuit.

En regard de ces hommes, farouches, nous en convenons, et effrayants, mais farouches et effrayants pour le bien, il y a d’autres hommes, souriants, brodés, dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches, en gants jaunes, en souliers vernis, qui, accoudés à une table de velours au coin d’une cheminée de marbre, insistent doucement pour le maintien et la conservation du passé, du moyen-âge, du droit divin, du fanatisme, de l’ignorance, de l’esclavage, de la peine de mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le sabre, le bûcher et l’échafaud. Quant à nous, si nous étions forcés à l’option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares. (Les Misérables, Victor Hugo.)

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