Épidémies, Extremistan et politiques de santé

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Après quelques semaines de déni ou de désinvolture, nombre de dirigeants sont enfin en passe de reconnaître que le monde vit une grave crise sanitaire aux conséquences humaines potentiellement dramatiques. La propagation fulgurante du coronavirus COVID-19 — qui provoque des affections allant du rhume banal à une infection pulmonaire sévère, responsable d’une détresse respiratoire aiguë — relève d’ores et déjà d’une pandémie même si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) rechigne à le reconnaître officiellement.

Si en Chine, le pic des contaminations semble avoir été dépassé, l’Europe, et donc le Maghreb et le reste du bassin méditerranéen, sont dans une phase précritique. Il ne faut pas se leurrer, l’Italie, pays où les contaminations et la mortalité sont désormais les plus élevées, ne saurait être considérée comme un cas à part. Plusieurs pays, dont la France et l’Allemagne, semblent suivre le même chemin statistique ce qui laisse envisager des mesures contraignantes semblables au confinement de la population italienne.

Les crises sont toujours des révélateurs précieux. Elles nous en disent beaucoup sur l’être humain – faut-il rire de celles et ceux qui stockent des denrées alimentaires ou les blâmer ? - mais aussi sur l’environnement politique, économique et social tel que nous l’avons façonné au cours des dernières décennies.

Il y a douze ans, la crise financières née des pratiques délictueuses autour des crédits hypothécaires aux Etats-Unis et en Europe (subprimes) avait mis en exergue l’excessive financiarisation de l’économie mondiale et les conséquences délétères de politiques toujours plus dérégulatrices. A l’époque, cette même chronique attirait l’attention sur les travaux de l’essayiste et mathématicien américano-libanais Nassim Nicholas Taleb. Son livre, « The Black Swan » (Le Cygne Noir).

Pour mémoire, selon Taleb, le cygne noir est la figure allégorique de « tout ce qui nous paraît impossible si nous en croyons notre expérience limitée ». Longtemps, dans l'hémisphère nord, on a cru que tous les cygnes étaient blancs. Puis un jour, à la faveur d’une expédition dans l’hémisphère sud, en Australie plus précisément, on découvre l’existence de cygnes noirs. En partant de là, le penseur a développé une réflexion originale autour du concept d’un monde des extrêmes qui ne serait plus décrit par la fameuse courbe de Gauss, avec une grosse majorité de choses connues (la cloche de la courbe) et des phénomènes inexpliqués mais rares (les extrémités de la courbe).

Pour Taleb, nous ignorons le monde tel qu’il est parce que nous pensons que, grosso modo, nous partageons tous le même quotidien. Or, la réalité, c’est que notre monde est de plus en plus régi par des éléments qui échappent à la courbe de Gauss et que le philosophe qualifie « d’Extremistan » ce qui, en employant une expression triviale, pourrait se résumer par « un monde de toujours plus et d’encore plus ». Plus de crises financières mais aussi plus d’événements disruptifs comme l’expansion du COVID-19 qui affecte déjà l’économie mondiale.

Il est possible que cette épidémie s’éteigne d’elle-même au printemps ou à l’été. Il est possible aussi qu’elle devienne saisonnière rendant plus urgente l’élaboration d’un vaccin. Mais si l’on prend le temps de regarder en arrière, on se rend compte que les alertes se multiplient depuis une vingtaine d’année et, qu’à chaque fois, le comportement des dirigeants est de laisser entendre que l’on a affaire à des événements rares pour ne pas dire exceptionnels et donc, qu’il ne faut rien changer au système actuel.

Qu’il s’agisse du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) de 2003 ou du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) de 2012, les coups de semonce ne peuvent pourtant plus être considérés comme des aberrations statistiques mais peut-être bien comme des tendances de fond. Autrement dit, il est possible que ce qui nous paraît exceptionnel, c’est-à-dire des pandémies hautement pathogènes, devienne peu à peu la norme.

Certes, les capacités de réaction de la communauté médicale sont à des millions de kilomètres de ce qui existait encore au milieu du vingtième siècle. Mais tout de même. Le COVID-19 est une sérieuse mise en garde contre les politiques de réduction des dépenses de santé.

A l’heure où, en Italie, les praticiens doivent décider quel patient doit être sauvé et quel autre doit être abandonné à son triste sort, il est peut-être temps de se souvenir que la santé n’est pas un bien marchand. Et de réaliser que les politiciens et gouvernants qui ont œuvré pour la diminution du nombre de lits et la marchandisation des actes médicaux ne sont rien d’autre que des criminels.

Quant à l’Algérie, le pays n’avait pas besoin du COVID-19 pour prendre conscience de l’état de délabrement avancé de ses installations hospitalières. Ceux qui sont responsables de la situation vont réaliser qu’avoir le privilège de se soigner à l’étranger ne sert à rien en temps de pandémie. Cela encouragera peut-être les décideurs à enfin prendre conscience de l’urgence d’une réforme profonde du secteur. Laquelle réforme ne peut aller sans des changements en matière de gouvernance politique du pays.

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