Algérie – Maroc, l’escalade ?

La rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc, à l’initiative des autorités algériennes, est un événement d’une rare gravité. Certains en rient, tournant en dérision l’efficacité ou les fondements d’une telle décision. D’autres applaudissent, cédant à un vieux fond de défiance, voire de mépris structurel, à l’égard du royaume voisin. En réalité, il s’agit d’un pas supplémentaire d’une lente escalade entamée depuis le début des années 2000, autrement dit depuis l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika aux affaires.

Certes, le contentieux du Sahara occidental, le souvenir de la Guerre des sables de 1963 avec le fameux « hagrouna » du président Ahmed Ben Bella ont toujours alimenté une solide inimitié entre les deux pays. Ils ont fait oublier le soutien marocain à l’indépendance de notre pays et plus personne ne se souvient aujourd’hui de la conférence de Tanger (avril 1958) où les grands partis indépendantistes algérien, marocain et tunisien, entérinèrent le projet d’un Maghreb uni.

Les brefs affrontements armés de 1975 et 1976, la honteuse expulsion de dizaine de milliers de Marocains (décembre 1975) décidée par Houari Boumediene en personne ainsi que l’imposition unilatérale d’un visa par Rabat en 1994 (en réponse, Alger ordonna la fermeture des frontières terrestres, fermeture encore en vigueur aujourd’hui) font aussi partie du passif bilatéral que rien ne semble pouvoir, ou vouloir, apurer.

Mais, depuis deux décennies on a la sensation, espérons qu’elle soit infirmée par les faits à venir, qu’une mécanique du pire s’est mise en place. Des deux côtés, on achète beaucoup d’armes. Des deux côtés, on se cherche querelle, on franchit des paliers dans le propos irrespectueux ou l’initiative officielle provocatrice. Sur le plan diplomatique, on se livre un bras de fer en coulisse des grandes organisations internationales, notamment l’Union africaine. Tout cela pourquoi faire ? Pour que deux peuples frères que tout devrait réunir finissent par se faire la guerre ? Est-ce cela qui est mis en branle ? Une telle perspective serait terrible pour l’Algérie comme pour le Maroc mais aussi pour toute la Méditerranée de l’Ouest.

Que l’Algérie ait des griefs à l’encontre de son voisin, cela personne ne peut le contester. L’affaire Pegasus, même si elle a disparu de la une des médias, n’est en rien réglée et sa gravité demeure évidente. On aura beau dire que tous les pays s’espionnent entre eux, la règle entendue est qu’il ne faut jamais se faire attraper et quand c’est le cas, le minimum que l’on peut attendre du pris en faute est de s’excuser.

De même, aucun Algérien ne peut accepter la provocation de l’ambassadeur marocain aux Nations Unies qui, en juillet dernier, a soumis aux pays membres une note dans laquelle il estime, que le « peuple kabyle mérite plus que tout autre de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination ». L’histoire de l’Algérie, celle de sa lutte anticoloniale, sa géographie, sa sociologie, la nature même de sa société où s’imbriquent et s’interpénètrent les faits arabophones et berbérophones font que le parallèle entre Kabylie et Sahara occidental ne tient absolument pas la route.

On peut critiquer le soutien accordé par notre pays au Front Polisario. On peut même s’interroger sur, à la fois, sa pertinence et son efficacité tout en analysant sérieusement ses conséquences négatives sur la stabilité et la cohérence politique du Maghreb. Mais il ne faut pas tout confondre ou alors on ouvre la voie à des surenchères sans fin sur l’autodétermination du Rif ou du Haut-Atlas marocains. Si Rabat avait voulu calmer le jeu, l’initiative de son ambassadeur aurait dû être désavouée. Ce ne fut pas le cas, c’est donc un geste murement réfléchi qui ne pouvait que déclencher des conséquences en retour.

A l’inverse, la thèse selon laquelle le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) serait, avec le soutien du Maroc et d’Israël, derrière les incendies qui ont ravagé le centre du pays ne vaut même pas qu’on la commente. Il est vrai que le MAK, dont le dirigeant clame à qui veut l’entendre que la Kabylie subit « un génocide » (ces simples mots suffisent à lui ôter tout crédit), cherche sans vergogne des soutiens à Rabat et à Tel Aviv. Mais de là à l’impliquer dans une catastrophe qui a mis en exergue les manquements de l’Etat algérien et son incapacité à prendre en compte les dangers engendrés par le réchauffement climatique, il y a un fossé que ne craint pas de franchir l’habituel discours à la fois complotiste et dilatoire. Il est fort possible que parmi les incendies qui ont embrasé le pays, certains soient d’origine criminelle mais cette thèse de la triple main criminelle (Mak, Maroc, Israël) laisse plus que dubitatif…

Quoi qu’il en soit, cette malheureuse crise bilatérale nécessite un appel, un retour (?), à la raison. Cette raison dont s’est toujours prévalue la diplomatie algérienne. Dans un environnement parfois chaotique, cette institution a le plus souvent gardé le cap de la retenue et du sang-froid. D’un autre côté, illustration de ce fameux « non-Maghreb » dont on ne cesse de déplorer les effets délétères, on réalise que l’Algérie et le Maroc ont été incapables de mettre en place ce que l’on qualifie de « facteurs d’irréversibilité », autrement dit des projets ou des organisations communes capables d’atténuer les conséquences de tensions bilatérales et renforçant la construction maghrébine.

Un peu comme deux voisins qui mettraient en commun leur alimentation en eau potable ou dont les maisons s’appuieraient sur le même mur porteur. On pensait que le gazoduc Maghreb – Europe – qui transite par le territoire marocain et dont l’avenir est désormais suspendu en était un. Il en aurait fallu bien plus.

De même, on se rend compte que les bonnes volontés dédiées à apaiser les tensions ne se bousculent guère au portillon. Il fut un temps où l’une des préoccupations des monarchies du Golfe était de convaincre Alger et Rabat de se parler. Exception faite du Qatar, cela ne semble plus être le cas aujourd’hui. Quant à la France, toujours encline à soutenir Rabat, elle ne semble pas réaliser qu’une détérioration plus marquée des relations algéro-marocaines aura une incidence directe sur la quiétude de l’Hexagone.

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