Le pseudo-dialogue et la petite musique des-raisonnables

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Ce n’est pas nouveau. Frantz Fanon, intellectuel cher à l’Algérie et aux Algériens, le relevait déjà en son temps. Quand un peuple gronde, quand il passe à l’action, quand il entend changer l’ordre injuste des choses, alors une petite musique, toujours la même, se fait entendre. Elle est jouée en duo par le pouvoir en place et par une catégorie bien particulière de personnes qu’on appellera les raisonnables.

Parmi ces derniers, certains mettront en avant leur raison, leur modération pour obtenir de l’ordre contesté un intérêt qu’il ne leur manifestait guère jusque-là. D’autres, sans rien faire, se dépêcheront de dire ô combien la prudence est reine et ô combien le sens de la responsabilité doit primer. Leur discours est connu : « ceux qui sont dans la rue sont capables de tout. Parlez-nous, faisons affaire avant qu’il ne soit trop tard pour vous (et pour nous) ».

En novembre 1954, des opportunistes ambitieux – mais peu désireux de rejoindre le maquis – firent ainsi des offres de service en matière de « dialogue », de « conciliation », de « désescalade » ou « d’appels au calme » espérant en cela glaner quelques situations avantageuses. On connaît la suite…

On sait aussi que les ordres contestés, et le pouvoir algérien en est un, excellent dans la capacité à concevoir et mettre en place des contrefeux, à créer de faux-semblants et à impulser des dynamiques qui n’ont de réel que ce que des médias assujettis veulent bien en dire. Il en ainsi de cette mascarade de « dialogue » artificiel à laquelle nous assistons depuis quelques jours alors que l’Algérie entre désormais dans un espace hors-constitution quoi que prétende un Conseil constitutionnel dont on ne rappellera jamais assez qu’il avait validé la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel…

Ce dialogue, qui intervient alors que ça continue de castagner, de menacer et d’emprisonner, n’est rien d’autre qu’une mise en scène. De l’aveu même d’un participant avec lequel il nous arrive de correspondre, il s’agit de jouer à faire semblant. En ayant en tête la formule « au cas où… on ne sait jamais », il s’agit d’occuper le terrain au cas où une pluie de raison (réelle) viendrait à se déverser sur l’Algérie et ceux qui la dirigent (vraiment).

Dialogue… On se réunit, on parle, on s’excite un peu parce que l’on ne peut pas faire autrement, on mange, on boit, on échange quelques informations sur celles et ceux qui sont en prison, sur celles et ceux qui pourraient bien les rejoindre, sur ce qu’il ne faut absolument pas faire pour intégrer l’une des deux catégories qui viennent d’être citées. Bref, on fait semblant, on participe à un jeu de rôle. On est dans la comedia djazaïriya.

Résumons rapidement la situation. Le président par intérim, qui ne devrait plus l’être puisque son intérim est terminé (quoi que prétende le Conseil constitutionnel dont on rappellera etc., etc.,…) et son chef de gouvernement sont toujours en place malgré les appels à la démission lancés chaque vendredi par les manifestants. Et donc, un dialogue « national inclusif » se déroule avec nombre de partis politiques qui ont fait partie du système, qui l’ont servi, de manière directe ou indirecte, et qui se prétendent chargés de faire des propositions.

Tout cela crée une confusion et un détournement. Vu de l’extérieur, on pourrait penser que les représentants du hirak se sont réunis et qu’ils cherchent à s’entendre pour définir une liste de revendications à transmettre au pouvoir qu’il soit apparent ou réel.

Or, nous savons très bien que tout se décidera ailleurs. Que le schéma d’une élection présidentielle à court ou moyen terme, avec un candidat qui bénéficiera du soutien direct de l’armée, est la solution (déjà dessinée) qui prévaudra in fine. Au lieu de l’annoncer tout de suite, on joue à faire semblant. Pour deux raisons. D’une part, parce que le système algérien adore sauver les apparences. Cela dure depuis des décennies. A chaque crise, son folklore participatif et inclusif… Comme à l’été 1991, comme en 1993, avec des personnalités interchangeables que l’on retrouve de-ci, de-là, avec les mêmes costumes-cravattés qui ont toujours su retomber sur leurs pattes.

D’autre part, parce que le hirak continue. C’est le grain de sable dans le dispositif de normalisation. Les Algériennes et les Algériens démontrent une opiniâtreté qui surprend tout le monde à commencer par leurs contempteurs. Alors, il faut absolument convaincre ce peuple que les choses changent avec cette agitation du dialogue. Il faut aussi trouver les arguments pour mettre en accusation ce peuple agité. Quoi, comment ? On dialogue et vous continuez à manifester ?

On l’aura compris, ce dialogue n’est qu’une gigantesque fumisterie. Et quand quelques voix illustres se font entendre pour donner du crédit à cet enfumage, alors c’est fiesta à la dechra. On peut comprendre que l’aventure fasse peur. On peut comprendre une vision anticipatrice qui préfère un statu quo amélioré - un peu comme on se contente d’un repas amélioré dans une caserne avec fruit « et » biscuit à la confiture au dessert.

Un statu quo donc préféré à la voie inconnue ouverte par la démission d’Abdelaziz Bouteflika. On peut aussi se dire que de tout cela, seuls les islamistes finiront par tirer profit. Admettons. Aucune peur ne devrait être honteuse pourvu qu’elle soit assumée. Mais de grâce, n’insultons pas l’intelligence des Algériennes et des Algériens en leur disant que ce « dialogue national inclusif » (on pourrait ajouter itératif, répétitif, répulsif ou répressif mais non conclusif – il y a plus de cinq cent mots qui se terminent en if) est une chance à saisir.

En réalité, il n’y a aucune chance à saisir quand aucune des revendications récurrentes n’est satisfaite ! Le président par intérim est toujours là, son gouvernement aussi, les prisonniers d’opinion restent en prison et aucune autre voie que l’élection présidentielle n’est envisagée. Autrement dit il y a ulach concessions

Les Algériennes et les Algériens veulent la lune. Ils ont le droit de manifester pour cela. Le pouvoir leur propose un gravillon. Et la petite musique des raisonnables leur enjoint de l’accepter et de rentrer chez eux.

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