Cinquante-deux semaines…

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Cinquante-deux semaines… Autant de vendredis et de mardis… Bientôt une année. Nous allons basculer dans un référentiel où il ne sera plus possible de dire « qui aurait imaginé cela il y a un an ? ». Mais pour l’heure, nos souvenirs à un an sont encore habités par cette période où triomphaient la bêtise crasse et la servilité des adorateurs du cadre.

Le mercredi 13 février 2019, assis à ma table, l’écriture hebdomadaire de ma chronique du lendemain fut forcée de vaincre à la fois l’accablement et une féroce envie de se laisser aller à l’insulte et à l’imprécation. Permettez-moi de me relire et de partager avec vous quelques passages de ce texte (1).

Premier extrait : « L’annonce d’une candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat provoque une multitude de sentiments qui ne sont pas forcément contradictoires ni antagonistes. Le premier, bien sûr, est l’accablement. La question est simple : Pourquoi ? Pourquoi cette tbahdila ? Pourquoi infliger cette humiliation au pays, aux Algériens et, peut-être même, au principal concerné ? (…) Que dire, si n’est tout simplement : non. »

Dire non sans arriver à faire taire la voix qui disait mais à quoi bon ? Le match est joué, mon gars ! Réélu, le « président », le sera… Je garde un souvenir désagréable de cette période où tout paraissait sombre et sans perspectives. Le gris, le stress, la contrariété, un genou qui lâche soudain (tout, sauf un hasard), les amies et amis d’Alger, Tlemcen, Constantine ou Béjaïa qui jurent qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils iront n’importe où, loin de ce pays dirigé par une mafia incompétente incapable de penser ne serait-ce qu’à l’avenir de ses propres enfants. Et avec cela une sensation oppressante d’échec.

Autre extrait : « Ce qui va avec l’accablement, est la colère. Comment ne pas être furieux devant un tel mépris pour le pays, pour le peuple et pour les institutions ? Tout le monde sait que le président est malade, qu’il ne peut pas assurer sa mission, mais on nous affirme le contraire avec un aplomb digne d’un arracheur de dent baratinant le badaud sur le marché de Htatba. Cette situation illustre on ne peut mieux l’expression ‘‘plus c’est gros, mieux ça passe’’. Et le message est explicite : faites ce que vous voulez, criez autant que vous le voudrez, on vous emm…, on fait ce qu’on veut car ce pays est notre propriété. »

Ah, cet aveuglement. Cette irrésistible confiance en soi de l’inculte, la morgue de ces « meuniers » dont on voit le groin pointer de nouveau, du moins pour ceux qui ne sont pas en prison. Il faut rappeler ces jours qui ont suivi le fameux meeting du Front de libération nationale (FLN) à Alger (9 février). Ce fut « le » catalyseur, le moment décisif où dans les têtes tout a basculé. On ne le savait peut-être pas encore le 13 janvier 2019 mais l’Histoire était en marche. Il allait y avoir du mouvement. Un Hirak. Mais n’oublions pas, notamment les laudateurs du cinquième mandat.

Un extrait, encore : « Gardons bien en tête le nom de ces fripouilles. Le temps viendra bien assez tôt où, contrits et affichants leurs remords de circonstance, ils expliqueront qu’ils ne pouvaient faire autrement, qu’ils pensaient qu’ils agissaient pour le bien du pays, etc. La nature humaine étant ce qu’elle est, on peut avoir la faiblesse, ou la prudence, de ne pas dire ‘‘non à un cinquième mandat’’. Mais alors, mieux vaut se taire. Dans ce genre de situation, le silence est déjà un courage et une morale. »

Mercredi 13 février 2019, veille de la saint-Valentin, le cœur brisé, l’accablement, la colère, la douleur. Mais aussi l’espoir. Infime. Comme une lueur qui pointe au bout du tunnel. L’analyse politique, la nécessaire recherche de compréhension auprès de confrères, de politistes, d’analystes et cette conclusion qui devient évidente. Ils sont devenus fous. Ils ont perdu les pédales. Le tikouk les a frappés. Ils ne contrôlent plus rien. Leur cinquième mandat n’est rien d’autre qu’une fuite en avant.

Avant-dernier extrait : « Mais il y a aussi les conclusions que l’on peut d’ores et déjà tirer de cette triste affaire. L’une d’elle peut inciter à l’optimisme ou, au contraire, à un profond pessimisme. Le fait est que le système algérien est à bout de souffle. Son entropie, autrement dit son usure, explose. Il en arrive à faire n’importe quoi pour se maintenir. C’est le signe annonciateur de la fin. »

Est-ce vraiment la fin ? Son début, certainement. Abdelaziz Bouteflika n’accomplira pas de cinquième mandat. Les langues se délient peu à peu. Chaque jour on en sait plus sur la gabegie de ses vingt années au pouvoir et de sa responsabilité devant l’Histoire pour cet énorme gâchis. Cinquante-deux semaines de Hirak, un record.

Alors oui, je sais, que l’heure est au cynisme et à cette posture bien connue des Algériens qui consiste à jouer le raisonnable, celle ou celui qui fit preuve de retenue au moment de l’euphorie générale. Le fameux « vous n’y arriverez jamais..., ce n’est pas comme ça qu’il aurait fallu faire… ».

Célébré durant de nombreuses semaines, le Hirak est désormais mis en accusation. Ce serait de sa faute si le système est toujours là. Le défaitisme devient réalisme. Tout cela alors que nous n’en sommes qu’au début. Au tout début. Dernier extrait : « Alors oui, le système s’épuise. Et cela ouvre la voie à tous les possibles. Les meilleurs comme les pires. » Cinquante-deux semaines… Le Hirak n’a pas lâché prise. Alors oui, le meilleur est encore possible.

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