Depuis hier, j'essaie de trouver quelque chose d'intelligent à dire ou qui semble « nécessaire » sur les événements à Gaza. La vérité, c'est que, comme beaucoup d'entre vous, je me sens totalement désarmé. Les images qui nous parviennent sont terribles, et plus terrible encore est la déclaration du ministre israélien Katz qui affirme avec une grande satisfaction que « Gaza brûle : nous ne céderons pas ». Je trouve ces mots d'une inhumanité déconcertante. Ils sont le signe de la barbarie. Ils indiquent la pente glissante sur laquelle Israël nous entraîne avec son fanatisme qui a désormais atteint le stade de la brutalité maximale.
Mais voilà, à part répéter les mêmes choses sur le caractère criminel des Israéliens et notre complicité, je ne peux rien faire d'autre. Nous sommes en effet confrontés à un paradoxe. Notre vocabulaire est saturé de mots graves et, face aux nombreux morts, il tente d'exprimer un minimum de solennité, de respect pour les morts palestiniens. Mais en même temps, ces mêmes mots graves et solennels sont éphémères. Leur signification est tout à fait aléatoire. Ils ne saisissent pas la réalité. Ils donnent une image du monde sans toutefois être capables d'aller au-delà d'une simple pétition de principe.
Le génocide ne provoque pas seulement mort et destruction, il révèle également le vide politique en Italie et en Europe. Notre parole n'a en effet plus la force de se cristalliser et de donner forme à la volonté politique populaire. Elle se traduit par un discours futile. Elle prend parfois même l'apparence d'une esthétique derrière laquelle nous nous berçons d'illusions pour nous absoudre, alors qu'en réalité nous en sommes parfaitement complices.
Le génocide entraîne également le déclin de la démocratie. Il met en évidence la régression de la politique vers le moralisme et de la volonté collective vers la pétition individuelle. C'est le résultat d'une régression culturelle qui, à bien des égards, a également été soutenue par la gauche, par les nombreuses théories qui ont liquidé la politique organisée en partis et disqualifié les institutions démocratiques au nom d'un anarchisme qui semblait cool et progressiste, mais qui a en réalité servi de plate-forme sur laquelle le néolibéralisme a implanté son anthropologie de l'homme désintermédié, fonction « autopoïétique » de sa propre volonté de puissance.
Voilà où nous ont menés ces conneries qui circulent à l'université, dans les salons cosmopolites bien-pensants et dans les librairies fréquentées par ceux qui veulent être à la page. Elles nous ont menés à ne compter pour rien, à ne pas savoir reconnaître les grands rapports de force géopolitiques et à ne pas avoir la moindre idée de la relation entre les processus matériels et les pratiques de domination que le capitalisme diversifie aujourd'hui en fonction des besoins : le génocide à Gaza, la colonisation militaire et économique en Europe, les droits de douane à 100 % en Orient et bien d'autres belles choses qui font de l'« autopoïèse » célébrée par les « post-humanistes » un discours inutile, qui n'efface pas notre complicité avec le génocide à Gaza.