L’inquiétant procès de Sansal

Quelque soit ce que l’on peut penser de Sansal et de ses positions, le déroulement de son procès et sa lourde condamnation à 5ans de prison, sont d’abord inquiétants pour les Algériens eux-mêmes et pour chaque Algérien, individuellement. Comment ne pas s’inquiéter devant l’insignifiance et le ridicule de faits supposés étayer une accusation aussi grave que celle d’ « intelligence avec l’ennemi » comme le fait qu’ironiser contre le refus de l’adhésion de l’Algérie au Brics soit qualifié de « atteinte à l’économie nationale » ? Or, qui en Algérie n’a pas été blessé par ce refus qui venait rappeler la déchéance du pays ? Comment ne pas ironiser, pour ne pas en pleurer, sur l’incurie du régime qui a fait de cette adhésion un argument de légitimation ?

Pendant des semaines on nous a préparé à la gravité de divulgations qui auraient été faites par Sansal à des « puissances ennemies », pour aboutir au final à un si ridicule argument. Comment ne pas penser à la campagne médiatique à grande échelle lancée contre El Kadi Ihsan au motif de financement étranger pour justifier son arrestation et la fermeture de Radio M, comment ne pas penser à la même campagne avec la même accusation, contre SOS Bab El Oued et RAJ, pour tenter de les diaboliser et préparer l’opinion à leur dissolution alors qu’au final, dans tous ces cas, la justice, ne pouvant l’étayer, n’a pas retenu cette accusation.

Sansal, Tadjadit ou n’importe qui, personne n’est à l’abri.

On peut ne pas être d’accord avec Sansal, et personnellement je ne le suis pas avec ses déclarations sur les frontières pour lesquelles il avait été initialement arrêté et qui ne justifiaient pas non plus son arrestation, désaccord autant scientifique que politique. On peut même, comme le font certains, le considérer comme un ennemi voire un salaud. Mais admettre qu’il puisse être lourdement condamné sur des motifs aussi invraisemblables et ridicule, c’est accepter qu’en Algérie, n’importe qui peut être condamné pour n’importe quoi.

Et c’est ce qui se passe réellement en Algérie. Les détenus du Hirak, plus de 200 actuellement, au-delà du millier, cumulés sur ces 6 ans, ont été condamnés sur des motifs aussi invraisemblables que pour Sansal. Une simple opinion critique ou un simple « Je ne suis pas satisfait » sont qualifiés comme « atteinte l’unité nationale » et valent de lourdes condamnations. C’est aussi cette accusation qui a été rajoutée à Sansal pour avoir critiqué une assemblée nationale pourtant si peu légitime.

C’est après son arrestation, en fouillant dans son téléphone et dans ses échanges privés qu’ont été construites, postérieurement, les accusations contre Sansal comme le mentionne son procès. C’est de cette façon qu’ont été également construites et que le sont toujours les accusations contre les hirakistes ciblés au préalable par des arrestations avant de leur fabriquer des accusations.

Cautionner cette pratique contre Sansal, c’est la légitimer contre les Hirakistes qui en ont été déjà victimes et surtout l’autoriser contre tous. Personne n’est à l’abri. On peut tout coller à qui on estime qu’il pense mal. La même peine que Sansal, 5 ans, a été requise contre Tadjadit, le poète du Hirak.

Avec de telles méthodes, le procès de Sansal décrédibilise définitivement la justice algérienne à l’international. Aucune juridiction sérieuse ne consentira à livrer à une telle justice des justiciables réclamés. L’ancien ministre corrompu, Bouchouareb, peut se réjouir.

L’Algérie, LFI, Stora et Jean Michel Apathie

Le régime algérien enfonce encore plus l’Algérie dans l’isolement. Mais au-delà des fanfaronnades à la Saddam, il commence à en ressentir les effets sur ses privilèges comme celui de la dispense de visa pour les innombrables détenteurs de passeport diplomatique, instrument de souveraineté nationale, devenu un privilège largement distribué à une clientèle étendue du régime pour lui faciliter l’accès à la France, « l’ennemi éternel »

Lorsque dans son interview au journal français « L’Opinion », le président Tebboune en appelle à des personnalités françaises pour réagir à la campagne anti-algérienne, il feint d’oublier que son régime s’est volontairement aliéné l’écrasante majorité d’entre-elles par une politique répressive tous azimuts, difficilement cautionnable par celles-ci.

C’est cette obsession qui l’a conduit à interdire l’accès au sol algérien même à la Nobel Annie Ernaux pourtant figure culturelle majeure de LFI, parti très impliqué dans la riposte à l’actuelle campagne anti-algérienne comme il l’a été dans les précédentes mais surtout mouvement se revendiquant de l’héritage des luttes anticoloniales dont le régime se prévaut. Mais à ses yeux, tout cela n’a pas pesé face au simple fait qu’Annie Ernaux ait apposé sa signature sur une pétition réclamant la libération du journaliste Ihsan El Kadi. C’est dire à quel point il est totalement obnubilé par sa vision répressive au point même d’y sacrifier les quelques possibilités de se faire entendre par l’opinion française. Le régime algérien n’a pas seulement des problèmes avec l’extrême droite française comme il voudrait le faire croire avec l’affaire Sansal. Il en a d’abord avec l’idée de liberté.

L’Algérie retrouve aujourd’hui des vertus à Benjamin Stora. On feint d’oublier les attaques systématiques qui l’ont ciblé par la presse officielle et celle de l’État profond comme « Algérie patriotique » qui l’a attaqué de façon virulente, avec des accents antisémites au moment même où était adoptée par l’assemblée nationale française la loi pour une journée de commémoration des massacres du 17 octobre 1961. Benjamin Stora a été la victime expiatoire de l’usage populiste interne auquel l’Algérie a réduit ses relations avec la France au point d’en perdre la mesure de ce que sont les relations internationales et les intérêts géopolitiques du pays.

Si beaucoup de personnalités françaises, à l’instar de Dominique de Villepin ou Ségolène Royal, sont montées au créneau contre l’usage instrumental que fait M. Retailleau de la relation franco-algérienne, elles ont toutes souligné, en même temps, le caractère dictatorial du régime algérien. Jean Michel Apathie ne revient jamais sur la question des enfumades sans rappeler d’abord qu’il n’ignore pas que le régime algérien est une dictature.

Le régime célèbre ce journaliste intègre. Mais un « Apathie algérien » n’a comme perspective que la prison comme aujourd’hui Blam et hier Kadi El Ihsan.

La double régression

Cette condamnation de Sansal illustre une double régression.

Celle d’une perte d’expertise politique qui ne mesure plus les effets-retour catastrophiques de cette arrestation, notamment à l’international, incomparablement plus élevés que les dividendes que compte en tirer le régime sur le plan intérieur. Comme le lapin pris dans les phares, le régime ne regarde que vers la France sans réaliser le discrédit qui le gagne dans une majorité de pays .

Celle d’un affaiblissement géopolitique où le régime n’ayant plus d’atouts de puissance à faire valoir , s’en trouve contraint de se rabattre à faire chantage avec la liberté d’un homme. Continuer ainsi à vouloir instrumentaliser l’incarcération de Sansal en en faisant chantage décrédibiliserait l’État algérien et le rapprocherait dangereusement des pratiques des États-voyous

Y’a-t-il des décideurs assez lucides pour comprendre le danger dans lequel ils mettent le pays et se mettent eux-mêmes ?

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