« Non, sir, c’est une révolution »

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Au huitième vendredi, écriront les historiens, ils ont frappé leurs pères, leurs mères, leurs fils, dans une place dédiée à Audin, dans une artère qui porte le nom de Didouche. Audin, Didouche, vous connaissez, M. Bédoui ?

Des jeunes gens morts pour l'Algérie, de l'âge de ces jeunes gens contre qui vous avez lancé vos bombes lacrymogènes en attendant, qui sait, de tirer, au neuvième vendredi, à balles réelles, parce que c'est ainsi, M. Gaïd Salah, il y a une Algérie qui compte ses fils sacrifiés et une autre qui compte ses dollars.

L'Algérie de l'honneur et l'Algérie des contrebandiers. La seconde, depuis la nuit des temps, a toujours rêvé d'asservir la première pour terminer, au final, dans la déchéance.

Inutile de lancer vos lacrymogènes contre les mères : depuis le temps, elles n’ont plus assez de larmes. Au neuvième vendredi, sortirez-vous toute l'armurerie ? Il ne tient qu'à vous pour que ce combat soit une victoire pour l'Algérie, l'Algérie démocratique, celle que chacun de nous espère voir dans sa nouvelle toilette avant de mourir.

Que gagnerez-vous à retarder l'échéance ? Parce que ce combat, mon général, n'est pas de ceux qu'on perd ; il est porté de génération en génération depuis le premier martyr, c'est un combat pour la légitimité, vous ne pouvez pas comprendre, c'est un truc que ressentent les hommes libres, la légitimité, respecter le choix populaire, le peuple n'est pas un troupeau de gnous, il est fait d’hommes et de femmes qui ne sont à la disposition de personne. Écoutez- les :

« Nous ne vous craindrons plus
Subalternes tyrans
Vous qui nous opprimez
Sous cent noms différents »

C’est ce cri qui résonna, plus de deux siècles plus tard, aux oreilles de la jeunesse On raconte que le roitelet Zine-Eddine Ben Ali, tel Louis XVI revenant de la chasse, s’était angoissé :

- C’est une révolte ? »

- Non, sir, c’est une révolution »

Le printemps…

Autrefois, me dit-elle, le printemps n’était que printemps, et nous ne finissions pas de nous en combler. Elle repose le journal. Il est un peu plus de midi. Une saison du bonheur, le printemps, reprit-elle, oui, de bonheur, même pour nous, vois-tu, les pauvres gens, ceux-là dont on dit qu’ils comptent leur existence par hivers. Ce n’est pas vrai. Pour les cœurs chargés de solitude glaciale, les cœurs qui battent à l'insu du monde, les cœurs des êtres démunis, la moindre hirondelle fait le printemps.

J'ai toujours vu mon père sortir dans le noir de l'aube et il m'a de tout temps semblé qu'il revenait, dans le noir du soir, avec un peu de lumière du printemps pour nous. Nous comptons aussi nos vies par printemps. Mais en silence.

Nous n'osons pas étaler nos propres illusions. Il arrive aux pauvres de croire que le printemps ne vient que pour eux, tu sais... Surtout quand apparaissent les premières fleurs en boutons parce que nous, vois-tu, nous avons toujours besoin de promesses. Pour nous, le printemps, c'est plus qu'une belle saison, c'est un devenir.

Va savoir, c'est peut-être pour cela qu’ils nous font voter au printemps pour élire un nouveau président. Que veux-tu, c'est comme ça. Nous aimons le printemps pour ce qu'il nous promet plus que pour ce qu'il nous donne. Oui, je crois bien que c'est pour cela qu'ils nous font élire un nouveau président au printemps.

Nous, les pauvres gens, c'est l'idée de la lumière qui nous est indispensable. Sans elle, nous aurions une vie sans mirages. Nous remplissions, à notre façon, nos vies maussades des teintes magiques de la déraison. Oui, tout ça, c'était autrefois, quand le printemps n'était que printemps. Aujourd'hui il est arabe, berbère, noir... Pauvre printemps !

Avant, nos fils choisissaient l'automne pour mourir. Peut-être parce qu'il ressemble au désespoir des hommes. Ou parce qu'ils le confondaient avec la grisaille de leurs vies. Ou avec la sobriété de leurs espérances, je ne sais plus. Nos fils choisissaient de mourir en automne.

La Toussaint rouge dans les Aurès, Un 11 décembre, devant les maisonnettes de Belcourt dépouillées de leur jasmin, Ce 5 octobre, au départ du lis blancs et du chèvrefeuille... Mais ies hommes veulent aussi des couleurs pour maquiller leur impuissance et des parfums pour divertir leur descendance...Alors, ils ont disputé sa splendeur au printemps. On devrait passer à table, tu ne crois pas ? J'ai fait une jardinière de printemps.

Il est un peu plus de midi. A la radio, la secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, appelle à une révision «profonde et large» de la Constitution. « Tu aimes les fèves ? », me demande-t-elle avec un brin d'appréhension. Ils appellent ça le légume du pauvre, s'esclaffe-t-elle. Mais la fève, comme les petits pois, l'aubépine qui surgit dans les ronces ou l'alouette qui traverse le ciel, c'est une modeste et prodigieuse offrande du printemps !

C'est comme ça qu'on déjouait la faim dans nos montagnes de l’oubli, un peu de ces légumes de printemps, en une poignée de semoule, et c'est un couscous qui nourrit toute une famille quand il ne restait aux mères accablées que Dieu. Dieu et le couscous.

Tu m'écoutes ? On dit que c'est comme cela qu'elles ont pu se nourrir, dans leur traque, le Prophète et ses compagnons. Mais les jeunes d'aujourd'hui sont nourris d’histoires noires. De haine. C'est pour cela que le printemps de mon enfance n'est plus.

Nous aimions le printemps pour ce qu’il ne nous promettait pas pour ce qu'il nous donnait. Nous savions que notre été ne viendra pas, que nous serons exclus de la saison de l'épanouissement de la fleur, mais nous répétions toujours le même voyage au cœur de l'espoir, à la recherche de la lumière improbable.

Au fond, ils ont sans doute raison de vouloir mourir au printemps….Tu veux un café ?

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