Toutes les petites mains de l’OTAN contre la Russie

La guerre en Ukraine est le point culminant d’un effondrement de trente ans de l’ordre de sécurité européen. Loin d’être inévitable ou prédéterminée, elle est née du démantèlement systématique des principes qui avaient fondé l’accord post-Guerre froide :


• La neutralité des États situés entre blocs militaires,

• L’engagement des États-Unis et de l’Allemagne à ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, dans l’ex-sphère soviétique,

• Et la doctrine de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) selon laquelle la sécurité doit être indivisible, c’est-à-dire qu’aucun État ne peut renforcer sa sécurité au détriment d’un autre.

Contrairement aux récits dominants en Occident qui présentent la Russie comme l’agresseur unilatéral, il est avéré que les administrations américaines successives, soutenues à des moments clés par l’UE, ont éloigné l’Ukraine de sa neutralité constitutionnelle, l’entraînant dans un affrontement géopolitique. À plusieurs reprises – en 1990, 1994, 2008, 2014, 2015, 2021 et 2022 – des voies diplomatiques explicites auraient pu garantir la souveraineté de l’Ukraine, protéger la sécurité européenne et éviter la guerre. Elles ont été systématiquement rejetées par l’Occident.

Lorsque l’Ukraine obtint son indépendance en 1991, la neutralité était un pilier de l’accord politique. La Déclaration de souveraineté de 1990 affirmait que le pays serait un « État permanent neutre » qui ne rejoindrait aucun bloc militaire. Ce principe devint loi : l’article 18 de la Constitution de 1996 engage l’État à la neutralité et au non-alignement. L’opinion publique ukrainienne renforça cette position : des années 1990 jusqu’au début de 2014, la majorité s’opposa toujours à l’adhésion à l’OTAN.

De 1989 à 1991, les dirigeants occidentaux assurèrent à plusieurs reprises aux responsables soviétiques que l’OTAN ne s’étendrait pas vers l’Est si Moscou acceptait la réunification allemande, comme le montrent des archives déclassifiées. Le 9 février 1990, le secrétaire d’État américain Baker déclara à Gorbatchev : « La juridiction de l’OTAN ne se déplacera pas d’un pouce vers l’Est ». Le ministre allemand Genscher affirma en janvier 1990 : « Il n’y aura pas d’expansion du territoire de l’OTAN vers l’Est ». L’Acte final d’Helsinki (1975) et la Charte de Paris (1990) établissaient que la sécurité en Europe devait être collective, non à somme nulle. La Charte pour la sécurité européenne de l’OSCE (1999) réaffirma : « Aucun État… n’accroîtra sa propre sécurité au détriment de celle des autres ». L’élargissement, notamment en Ukraine, violait ce principe.

En 1994, l’Ukraine restitua à la Russie l’arsenal nucléaire soviétique en vertu du Mémorandum de Budapest, dans un cadre de sécurité fondé sur trois conditions :


1. L’Ukraine resterait neutre ;

2. L’OTAN ne s’étendrait pas vers l’Ukraine ;

3. La sécurité européenne reposerait sur les principes de l’OSCE, non sur une logique de blocs.

La tragédie est que, dès la fin des années 1990, la stratégie américaine s’aligna sur la logique exposée par Brzezinski dans Le Grand échiquier (1997) : « Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire eurasiatique ». Ce raisonnement a façonné la perspective stratégique américaine : l’objectif était d’intégrer l’Ukraine à l’OTAN.

En 2004, les États-Unis et l’UE soutinrent la Révolution orange, finançant des groupes de la société civile via le National Endowment for Democracy, l’USAID et diverses fondations. Puis, en 2008, au sommet de Bucarest, malgré l’opposition de l’Allemagne et de la France, Washington força l’OTAN à déclarer : « L’Ukraine et la Géorgie deviendront membres ». Angela Merkel admit plus tard : « Du point de vue ukrainien, cela aurait été une déclaration de guerre [pour Poutine] ».

L’opinion publique resta majoritairement opposée à l’adhésion : Viktor Ianoukovitch remporta les élections de 2009-2010 sur une plateforme de neutralité et son gouvernement adopta une loi codifiant l’Ukraine comme État non aligné. Mais les forces pro-OTAN virent une opportunité en 2013, lorsque Ianoukovitch repoussa la signature d’un accord d’association avec l’UE, déclenchant des protestations massives alimentées par Washington. L’appareil américain de changement de régime entra en action.

Le 21 février 2014, l’UE négocia un accord avec Ianoukovitch prévoyant des réformes constitutionnelles, un gouvernement d’unité nationale et des élections anticipées. Quelques heures plus tard, des groupes armés occupèrent des bâtiments gouvernementaux et Ianoukovitch s’enfuit sans démissionner. Le Parlement le destitua sans procédure constitutionnelle, et les États-Unis soutinrent le régime de facto. L’UE resta silencieuse et laissa le « deep state » américain prendre les commandes. Le nouveau gouvernement adopta des politiques nationalistes et lança une opération militaire « antiterroriste » contre les protestations dans les régions russophones de l’Est, militarisant une dispute politique et rendant tout compromis impossible. La nouvelle classe politique parla d’expulser la Russie de sa base navale en Crimée. Finalement, Moscou annexa la Crimée, invoquant des préoccupations de sécurité liées à la flotte de la mer Noire.

Pour stopper les combats à l’Est, la Russie contribua à négocier l’accord de Minsk II, approuvé à l’unanimité par la résolution 2202 du Conseil de sécurité. Il prévoyait un cessez-le-feu, un « statut spécial » pour Donetsk et Lougansk, des réformes constitutionnelles pour protéger la minorité russe et le retrait des armes lourdes. L’Ukraine refusa d’appliquer l’accord, surtout l’autonomie du Donbass. Merkel admit plus tard que l’accord visait à « donner du temps à l’Ukraine » pour renforcer son armée.

Entre 2015 et 2021, l’Ukraine devint de facto un partenaire de l’OTAN grâce à des exercices conjoints, des structures de commandement conformes aux standards de l’Alliance, des missions d’entraînement avec les États-Unis et le Royaume-Uni, l’intégration du renseignement et surtout des milliards de dollars d’armements. En 2021, l’Ukraine avait le plus grand armée d’Europe hors Russie.

En décembre 2021, la Russie proposa deux projets de traité aux États-Unis et à l’UE, demandant de renoncer à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, de retirer les armes de l’Alliance des frontières russes, de revenir aux niveaux de déploiement de 1997 et de restaurer les principes de sécurité indivisible de l’OSCE. Washington refusa de négocier, affirmant que la « politique de la porte ouverte » de l’OTAN n’était pas négociable. Cet échec conduisit Moscou à lancer l’« opération militaire spéciale ». En 2023, le secrétaire général de l’OTAN Stoltenberg résuma : « Le contexte était que Poutine, à l’automne 2021, avait envoyé un projet de traité demandant que l’OTAN promette de ne pas s’élargir. C’était une condition pour ne pas envahir l’Ukraine. Nous ne l’avons évidemment pas signé… Il est donc parti en guerre pour empêcher l’OTAN de s’approcher de ses frontières. Il a obtenu l’exact opposé ».

En bref, la guerre en Ukraine n’est pas le fruit de haines ancestrales ni d’un acte soudain d’agression, mais le résultat prévisible d’une série de décisions américaines et européennes qui ont démantelé la neutralité ukrainienne, rejeté la diplomatie avec la Russie et subordonné la sécurité de l’Ukraine à une stratégie occidentale vouée à l’échec. Une solution durable exige un retour aux principes qui ont guidé l’après-Guerre froide : la neutralité de l’Ukraine, la sécurité indivisible en Europe et une véritable diplomatie entre l’UE et la Russie.

Poster commentaire - أضف تعليقا

أي تعليق مسيء خارجا عن حدود الأخلاق ولا علاقة له بالمقال سيتم حذفه
Tout commentaire injurieux et sans rapport avec l'article sera supprimé.

Commentaires - تعليقات
Pas de commentaires - لا توجد تعليقات