Il arrive que des récits politiques apparemment opposés se complètent et s'imbriquent pour le plus grand profit des conteurs. Vu d'ici, on dirait qu'un immense évènement a eu lieu en Syrie. Que la dictature a été attaquée de plein fouet par la puissance occidentale.
Macron au poste de commande, chef de guerre implacable et déterminé à frapper l'ennemi qui a "franchi la ligne rouge". Effaçant des mois de propos scandaleux et complaisants sur Poutine et Assad, dans une geste chevaleresque et audacieuse en mode " Cette fois, les gars, on ne laissera pas faire, les droits humains sont en jeu, sortez les avions".
En face, les "anti-impérialistes", hurlant à la guerre mondiale qui vient de commencer, aux mensonges soigneusement orchestrés par des enfants à qui on a appris à faire semblant de mourir en direct, à la "déstabilisation " de la région toute entière, alors que justement, ça commençait à redevenir la bonne vieille dictature solidement établie sur la terreur d'antan.
Quelque part, partout, en Syrie, dans les centres de torture d'Assad, les bourreaux continuent à torturer. Quelque part, partout en Syrie, des vivants attendent la prochaine punition pour avoir osé faire la révolution: des bombes chimiques ou pas, l'enfant qui mourra, demain matin, d'une maladie mal soignée parce qu'il n'y a plus d'hôpitaux, la police politique qui frappera à la porte pour les faire disparaître à tout jamais.
Quelque part, partout en Syrie, des hommes et des femmes ne dorment jamais la nuit, vivent avec les fantômes des leurs, tués devant leurs yeux, ou disparus dans un moment de fuite et de chaos. Quelque part, partout dans le monde, des humains errent, devenus ce qu'on appelle réfugiés, comme si des tentes au milieu de la boue étaient un refuge, comme si le seul asile politique réel accordé par la communauté internationale n'était pas celui donné aux bourreaux du régime, toujours dans leurs lits douillets et leurs châteaux, rêvant aux tortures qu'ils infligeront demain.
Oui, ils ont eu une petite contrariété, sans doute un instant, l'estomac d'Assad s'est serré. Une nuit, l'image d'un monde parallèle a dû un peu le hanter: celui où il devrait réellement arrêter de massacrer, voire être neutralisé. Une nuit, il a dû se rappeler, quand même, qu'il n'était pas le Tyran de l'Eternité, juste un dictateur qui pouvait être frappé.
Mais au matin tout était terminé. La diplomatie reprenait ses droits, Assad les siens, ceux de massacrer, mais sans laisser le sang déborder au-delà d'une étrange ligne rouge, définie seulement par la manière de tuer.
Peut-être a-t-il envié un instant notre Président, qui n'a comme opposants que les pantins de Poutine, tous juste bons à lui donner l'image de justicier actif et déterminé qu'il cherchait justement à s'arroger. Tous juste bons à lui inventer un poing vengeur quand il a bougé un petit doigt vite rangé.
Peut-être, parce que depuis sept ans, Assad, lui, doit affronter des révolutionnaires lucides, déterminés, assoiffés de liberté.
Des révolutionnaires qui, au prix de leur vie ont détruit tous les tristes et lâches récits, pour faire entrer dans l'Histoire l'amour de la Démocratie.