Plus cynique que le monde inerte face à la «tragédie syrienne», sont certains écrivains et activistes de gauche, arabes et occidentaux, qui se sont toujours arrangés pour faire diversion par la “théorie du complot” dès que se posait la question du droit des Syriens à la liberté et à la dignité.
Cette catégorie déploie sa propagande autour de trois problématiques principales.
La première est davantage un subterfuge qu’une réelle problématique puisqu’il est question d’inviter systématiquement les autres tragédies régionales dans le débat sur la Syrie. Chaque fois qu’est évoqué devant eux le nombre croissant de victimes syriennes, ils avancent le nombre d’Afghans et d’Irakiens tués lors des invasions américaines, ou des Palestiniens tombés lors des attaques israéliennes contre la Bande de Gaza.
Cette pirouette les dispense de se positionner clairement sur la situation en Syrie, noyant celle-ci dans un magma confus engendré par les forces “malveillantes” de l’impérialisme. Pour achever le tout, les Syriens sont sommés de présenter des certificats de bonne conduite en se prononçant sur les causes de la planète pour être éligibles à la solidarité.
La deuxième problématique est ancrée dans le “conspirationnisme” proprement dit. Elle tend à substituer l’intérieur syrien à son environnement direct. Elle ne voit pas des Syriens et des Syriennes qui luttent pour leur libération, mais des projets externes et des pièges à la Sykes-Picot. La dangerosité extrême de ces éventuelles manigances est censée forcer selon ces chantres à faire front derrière le régime d’Assad, «pour braver l’ennemi, Damas ayant un rôle historique en cela».
Pour clore le tableau des obsessions, il reste celle que véhiculent les ténors de la prétendue laïcité du régime, ces derniers préférant se ranger aux côtés de la tyrannie non religieuse plutôt que de risquer la “prise du pouvoir par des islamistes, si le régime venait à tomber”.
Et pour cautionner le régime d’Assad, certaines tendances de la gauche “occidentale” ne font guère mieux que leurs “camarades” arabes. Elles sont tout autant obnubilées par les obsessions anti-impérialistes, teintées cette fois d’un culturalisme latent ou manifeste.
“L’anti impérialisme primaire” dicte à cette gauche un soutien inconditionnel à tout régime du tiers monde qui prétend s’opposer aux Etats Unis. C’est ce qu’il est convenu d’appeler désormais le “pavlovisme”. La théorie du complot orchestré par l’impérialisme américain a un pouvoir de séduction plus puissant que des analyses “classiques” qui rejettent l’oppression et la tyrannie.
Car ceux qui pratiquent cette théorie (surtout s’agissant du Moyen Orient, ses ressources naturelles et ses conflits), cherchent à se distinguer, à sortir du lot. Ils éprouvent une certaine jouissance à s’ériger en connaisseurs du dessous des cartes et dévoilent les pièges et l’hypocrisie des relations internationales.
Or, tous ceux qui mettent en avant ces arguments refusent en réalité d’admettre l’existence et la légitimité de la cause du peuple syrien. Ils se contentent mécaniquement de débiter des évidences sur les intérêts économiques et les enjeux géostratégiques qui constituent le b.a.-ba de la politique internationale.
Ces experts bien-pensants prétendent détenir une connaissance exclusive de la vérité sur les politiques de « l’occident » contre la région. Cela leur confère une supériorité intellectuelle qui leur donne la clairvoyance et la science infuse dont les Syriens sont privés.
Par conséquent, dans ce contexte “complexe” qu’est le Moyen-Orient, les révolutions et soulèvements populaires ne seraient que des machinations maléfiques, et les millions de gens (les Syriens) des marionnettes, guidées à leur insu vers leur perte.
Les «culturalistes» quant à eux, ne sont pas impressionnés par la violence dans le monde arabe et musulman. C’est pour eux un mécanisme coutumier de résolution de conflits chez ces peuples. La pratique de la violence n’appelle donc pas en soi la nécessité de s’indigner outre mesure.
A tout cela s’ajoute un «négationnisme» qui s’est révélé terrible lors des massacres assadiens contre les civils, ou lors des publications de rapports par des organisations internationales, Amnesty et Human Rights Watch entre autres, sur la torture systématique et les exécutions de milliers de détenus dans les geôles d’Assad.
Non seulement les négationnistes ont cherché à relativiser les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par le régime Assad et ses sponsors, mais ils ont même accusé ceux qui les évoquent d’être des agents de l’impérialisme ou des victimes de sa propagande !
Cela témoignait de leur mépris du peuple syrien et de sa souffrance, et de leur volonté de l’occulter, pour une fois de plus n’évoquer que des complots et de la «géostratégie».