Ce que nous apprend l'histoire du mouvement national féminin tunisien

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La femme tunisienne s’est toujours réjouie de son statut inégalé dans le monde arabe voire même au-delà dans d’autres contrées du monde … C’est ainsi, que tous les 13 Août, déclarés en Tunisie "fête de la femme", des femmes interviewées, dans les reportages télévisés locaux, attribuent à Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante, le titre de libérateur de la femme tunisienne ; la plupart l’idolâtrent car, à les entendre, il leur aurait "donné leurs droits" !

Sans vouloir nier les idées avant-gardistes que Bourguiba avait acquises et qu’il a fait mettre en place, dès l’indépendance, pour faire avancer la cause féminine en Tunisie, il semblerait aussi qu’on veuille nous faire admettre que tout a commencé à partir de cette date et que ces idées réformistes il en était le seul et premier instigateur.

Si on prend connaissance de l’histoire du mouvement féministe tunisien, on peut s’apercevoir que déjà, bien avant Bourguiba, le Cheikh El Islam Mohamed Salah Ben Mrad prônait, à juste titre d’ailleurs, que l’émancipation de la femme tunisienne passait avant tout par l’instruction et l’éducation de celle-ci ; ce Zeitounien donna une éducation moderne à ses filles et les poussa à participer à la vie intellectuelle et culturelle du pays ; il n’est donc pas étonnant que ce soit sa fille B’chira Ben Mrad qui créa en 1937 la première organisation féminine tunisienne à savoir « l’Union Féminine Musulmane de Tunisie » (UFMT); cependant cette association fut dissoute en 1956 !

Aussi, dès 1930, Tahar Haddad est le premier intellectuel tunisien à défendre la cause de la libération des femmes qu’il considère comme essentielles à l’évolution de sa société; il était l’un de ces penseur et syndicaliste en avance sur le reste de toute sa société ; on lui doit des idées révolutionnaires pour l’époque comme celles de l’enseignement pour tous, de la participation active que les femmes devraient être amenées à jouer dans la société tunisienne, de l’abrogation de la polygamie ; il avait aussi pensé à la création d’une juridiction susceptible de protéger les femmes de la répudiation et de consacrer l’égalité entre les sexes qu’il voyait totale y compris en matière d’héritage.

Tahar Haddad considérait que l’Islam ne pouvait pas être un élément d’oppression pour les femmes à partir du moment où la notion d’évolution est bien inscrite dans ses préceptes ; il croyait à l’"ijtihad" (l’interprétation) et que donc l’Islam pouvait s’adapter à tout temps.

Plus tard, en 1944 une autre organisation féminine, liée au parti communiste tunisien, vit le jour ; il s’agissait de l’Union des femmes de Tunisie (UFT) dont les activités se réduiront d’ailleurs juste après l’indépendance jusqu’à sa dissolution en 1963.

Puis, L’UNFT fut créée, en 1956, par des militantes du Néo-Destour et la fille de Tahar Haddad en sera d’ailleurs la présidente de 1958 à 1972 ; malheureusement cette organisation fonctionnera comme un appendice du parti unique au pouvoir et sera prise en charge par le gouvernement ; même sa présidente finira par être désignée.

Par ailleurs, plusieurs militantes féminines seront invitées à militer au sein de cette organisation proche du parti destourien mais refuseront ou finiront par claquer la porte ne supportant pas les méthodes et la langue de bois de ses membres.

En 1978, naît le Mouvement Féministe Autonome qui est renforcé en 1989 par deux ONG indépendantes s’inscrivant dans l’opposition au pouvoir établi l’AFTURD (Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement) et l’ATFD (Association des Femmes Démocrates) qui ont agi activement en maintenant la pression sur le pouvoir alors en place afin d’obtenir plus de droits.

L’histoire nous permet donc de constater, qu’à partir de l’indépendance, les organisations féminines déjà en place ont été soit dissoutes soit soumises à une tentative de main mise. Ainsi, dès l’indépendance Bourguiba a le génie de reprendre à son profit les idées réformatrices de Tahar Haddad qui formeront la charpente du code du statut personnel (CSP) promulgué le 13 Août 1956. Dès l’indépendance, l’UNFT est créée ; elle finira par toujours s’aligner sur les positions du parti unique, que ce soit le PSD ou plus tard le RCD et servira la propagande électoraliste de Bourguiba et plus tard celle aussi de son successeur suite à un "soft"coup d’état médical.

On ne peut cependant nier le rôle majeur et décisif qu’a joué le Président Habib Bourguiba dans la promulgation du CSP ; ce code ré-amendé à plusieurs reprises a indéniablement fait évoluer le statut juridique de la femme tunisienne dans une société restée encore profondément traditionaliste et l’a protégée de bien des abus ; en revanche son existence même consacre l’inégalité qui existe entre les sexes.

On peut aussi légitimement se demander si, à la longue, la défense des droits de la femme, et l’image moderniste de la société tunisienne que Bourguiba a voulu donner, n’aient pas fini par lui servir à redorer l’image de la Tunisie sur la scène internationale en excusant aux yeux du monde la véritable nature du régime qui peu à peu s’installait.

Sur le plan local il était aussi assuré de se rallier un large panel de la société tunisienne sensible à cet argument électoraliste. D’ailleurs jusqu’à actuellement, les femmes et une frange des progressistes de la société tunisienne ferment les yeux et se bouchent les oreilles bien volontiers lorsqu’ils s’agit de critiquer les dérives autoritaires et les profondes inégalités régionales et sociétales que ses 31 années de pouvoir sans partage ont engendrées ; ils rejettent la faute seulement sur son successeur ; ils ne retiennent de ses réalisations que la scolarisation obligatoire de tous les enfants tunisiens, la démocratisation de l’enseignement, la défense de l’émancipation de la femme et l’édification d’un état moderne ; ils parlent d’une "dictature éclairée". Comme si parce qu’elle était "éclairée" elle devenait acceptable ?

Enfin, même si, depuis l’indépendance, des textes de lois ont bien été promulgués pour tenter de rétablir l’égalité des femmes, ni l’héritage Bourguibien ni même celui de son successeur n’ont réussi à atteindre complètement cet objectif. Suite à la révolution pour la liberté et la dignité de 2011 les associations et ONG féministes ont proliféré et ont joué un rôle majeur et déterminant dans la levée des réserves de la CEDAW et dans l’inscription dans la constitution de la seconde république des droits des femmes et en particulier l’égalité totale entre les sexes.

En référence au texte constitutionnel, il s’avère que le contenu du code du statut personnel est actuellement bien restrictif et serait à remettre en question ! Inutile désormais d’attendre l’homme providentiel mesdames les tunisiennes ! Inutile de céder aux sirènes des partis récupérateurs de la cause féminine puisque désormais tous les partis doivent se conformer aux principes égalitaires énoncés dans la nouvelle constitution !

Les femmes doivent veiller à l’indépendance de leur organisation féminine et ne plus jamais servir de caution à aucun régime autoritaire ! C’est aux femmes de défier à l’avenir tous les gouvernements, de remonter leurs manches et de lever le poing en exigeant l’application des résolutions constitutionnelles relatives à leurs droits inaliénables.

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