La nouvelle image de l’universitaire tunisien

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Certains enseignants chercheurs ont dénigré le sit-in des universitaires, qui a duré 63 jours au Ministère de l’enseignement supérieur, en prétendant qu'il donnait une mauvaise image de l'universitaire ! Pourquoi tiennent-ils à envoyer une fausse image idyllique de l'universitaire ?

La situation vécue par les universitaires dormant à la belle étoile sous les escaliers du MES, est pourtant bien le résultat d'une politique d'affamement et de clochardisation imposée par la décision du gel de leurs salaires en entier pendant près de trois mois.

Elle traduit la volonté des pouvoirs publics de briser leur grève pacifique et légale en leur coupant les vivres ainsi qu'à leurs enfants, conjoints et parents; elle exprime aussi leur volonté de vouloir écraser la moindre velléité d'aspiration à l'indépendance syndicale et d’annihiler, par des manières déloyales, la lutte des universitaires pour leurs droits légitimes et pour la réforme de leur secteur.

Pourquoi ces enseignants dénigreurs occultent-ils que la situation matérielle de l'universitaire est en dégradation constante et pourquoi ne reconnaissent-ils pas le bien fondé de sa lutte pour une université publique qui renaîtrait de ses cendres ? Pourquoi laissent-ils, par inaction, désintérêt et en cultivant l’illusion que tout va bien dans le meilleur des mondes, se poursuivre davantage la désertification de l'Université publique ? Quels intérêts inavoués ont-ils à le faire ? Font- ils partie de cette infime caste de privilégiés ? Font-ils allégeance à leur hiérarchie ou à toute autre structure et en sont-ils prisonniers ?

Quoi qu’il en soit, ce sit-in aura au contraire prouvé la grande endurance et résistance de l’universitaire contre l’arbitraire des autorités ! Des autorités qui ont prouvé qu’elles font peu de cas de l’universitaire puisqu’elles l’ont laissé croupir pendant près de deux mois avant de céder et de réparer le gel illégal et inhumain des salaires.

Le rude sit-in du défi aura développé et renforcé les sentiments d’entraide et de solidarité entre universitaires; il aura prouvé que l’universitaire ne s’humilie pas et ne cède pas face à la répression et à la violence d’état ; la justesse et la noblesse de la lutte menée par les universitaires pour défendre l’université publique de la politique en vigueur de désertification et pour acquérir leurs droits à été la plus forte.

Une nouvelle cohésion du corps des enseignants chercheurs a pris forme au courant de ce sit-in qui s’en est sorti encore plus soudé. Une aventure humaine inédite où une multitude de sentiments se sont télescopés, où la pluralité s’est vécue et où les différences idéologiques, sources de conflits et de peurs, se sont estompées car tous ont appris à se connaître et se respecter et n’avaient finalement en tête qu’un objectif commun : établir une véritable société du savoir à travers la renaissance de l’université publique.

Des mouvements de protestation sans précédent ont été initié par les universitaires, depuis janvier 2018, sous l’égide du syndicat IJABA; ils se sont traduits par des actions diverses allant crescendo, du port d’un brassard rouge à des grèves de plusieurs jours, suivies de deux grèves administratives. Pendant cette longue lutte, 7 sit-in ont été organisés drainant à chaque fois des milliers d’universitaires; une marche historique a eu lieu le 04 mai 2019 dans les rues de Tunis et a rassemblé plus de 4000 universitaires.

Cette représentativité est une consécration pour le syndicat IJABA et mérite toute l'attention et la considération des pouvoirs publics ainsi que la prise au sérieux et la satisfaction des revendications des universitaires !

Cette révolution ijabienne des universitaires est par essence une révolution spirituelle qui veut rompre avec un système de gouvernance du passé; il s’agit de l’affrontement entre un monde ancien qui a échoué et qui s'accroche désespérément à des pratiques révolues et un monde nouveau qui réclame sa participation à la reconstruction et a une autre vision progressiste de l’enseignement supérieur.

L’université publique tunisienne s’est désertifié à cause de la fuite de ses cerveaux, de la fermeture des postes de recrutement aux milliers de jeunes diplômés et d’une politique tout azimut de privatisation et de concurrence déloyale de l’enseignement supérieur qui traduisent le désengagement de l’état envers cette université.

Pourtant l’université publique est l’institution qui permet à tous les enfants du peuple de s’élever dans l’échelle sociale; l’universitaire a ainsi le devoir, en tant que partie prenante, de défendre bec et ongles cet ascenseur social contre tous ses détracteurs.

Le syndicat IJABA a déjà remporté une première victoire en forçant la chambre des députés au retrait d’articles permettant à des universités étrangères de s’implanter en totale propriété du capital en Tunisie. Dans le cadre de la restructuration de l’université publique et sa renaissance, il est impératif que l’universitaire retrouve son prestige et sa dignité qui ne peuvent être rétablis qu’à travers la réhabilitation de sa situation matérielle qui s’est au fil du temps considérablement dégradée et qui n’est plus en conformité avec sa détention du plus haut diplôme national.

La réclamation des universitaires porte sur l’application de l’échelle salariale dans la fonction publique qui établit de droit une échelle des salaires en fonction du diplôme détenu. Cependant, d’autres revendications sont aussi demandées comme l’ouverture des postes dans toutes les disciplines pour les jeunes docteurs au chômage, l’augmentation du budget actuellement dérisoire de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, la proclamation du nouveau statut des enseignants chercheurs et la participation effective à tout projet de réforme de l’enseignement.

Finalement, ce grand et long mouvement de protestation est en cours de construire, pour l’histoire, une autre image de l’enseignant-chercheur : celle d’un combattant relevant la tête, refusant la politique de résignation et de soumission qui lui a été imposée pendant des décennies et rejetant sa subordination pour la défense de ses droits; celle d’un éclaireur et d’un décideur de la société, celle d’un composant d’une élite militante désireuse de défendre et réformer corps et âme son secteur et lutter contre toute corruption pour le transmettre prospère et rayonnant aux générations futures.

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