L’Inde s’approche-t-elle à nouveau de l’Afghanistan pour contenir le Pakistan ?

La récente décision de l’Inde de rouvrir son ambassade à Kaboul et de recevoir officiellement le ministre des Affaires étrangères du gouvernement afghan est intervenue à un moment sensible – autour d’un affrontement armé bref mais intense entre les forces afghanes et pakistanaises. Bien que New Delhi n’ait pas été directement impliqué dans les hostilités, il est plausible d’affirmer qu’elle considère l’atmosphère régionale actuelle comme une occasion de réviser et d’actualiser son approche stratégique, en particulier en ce qui concerne le Pakistan.

Les forces armées afghanes et pakistanaises se sont récemment affrontées le long de la région frontalière de Spin Boldak. Selon le gouvernement taliban, le Pakistan a lancé l’attaque à l’aide d’armes légères et lourdes, entraînant la mort de 15 civils et en blessant plus de 100 autres, dont des femmes et des enfants. Kaboul a affirmé avoir réagi de manière décisive en détruisant des avant-postes militaires et en capturant des armes pakistanaises.

Islamabad, pour sa part, a rejeté la version afghane des événements, accusant les talibans d’avoir lancé la première frappe en ciblant un poste militaire pakistanais. Selon l’armée pakistanaise, 37 combattants talibans ont été tués dans l’opération de représailles. Après un échange bref mais dangereux – y compris des bombardements aériens des deux côtés – la situation semble maintenant se désamorcer. Un cessez-le-feu temporaire de 48 heures a été convenu, les deux parties s’engageant à poursuivre le dialogue en vue d’une résolution pacifique.

C’est dans ce contexte d’instabilité régionale que l’Inde a choisi de rétablir officiellement sa présence diplomatique à Kaboul. Bien que les responsables indiens aient présenté cette décision dans le cadre d’un programme humanitaire et technique, le moment et le symbolisme de la décision n’ont pas échappé aux observateurs. À l’heure où le Pakistan est confronté à la fois à des pressions le long de ses frontières et à des défis politiques internes, l’Inde semble recalibrer sa stratégie régionale, en s’appuyant sur le principe classique de l’endiguement.

Historiquement associé à la guerre froide, le concept d’endiguement fait référence à l’utilisation de moyens indirects pour limiter l’expansion d’une puissance rivale. Dans le contexte de l’Asie du Sud, l’Inde ne semble pas chercher une (autre) confrontation directe avec Islamabad, mais vise plutôt à étendre sa sphère d’influence et son engagement diplomatique avec des acteurs voisins qui pourraient servir de contrepoids régionaux. L’Afghanistan, dans ce scénario, offre à l’Inde un front diplomatique alternatif – pas nécessairement hostile, mais stratégiquement avantageux.

Il est important de noter que l’Inde n’a ni ouvertement soutenu le gouvernement taliban ni officiellement reconnu sa légitimité. Cependant, en choisissant de rouvrir son ambassade et d’accueillir des responsables afghans à New Delhi, l’Inde signale sa volonté de maintenir le dialogue et une présence stratégique dans un pays qui est historiquement resté dans la sphère d’influence du Pakistan. La nouvelle approche indienne semble moins idéologique et plus pragmatique : un engagement sélectif axé sur la stabilité, les infrastructures et la présence régionale.

Pour l’Afghanistan, sous la pression de l’Occident et confronté à de nouvelles tensions avec le Pakistan, le regain d’intérêt de l’Inde offre une opportunité de diversification géopolitique. Pour Islamabad, cependant, les actions de New Delhi peuvent être interprétées comme faisant partie d’une stratégie d’endiguement indirect : non pas une menace militaire, mais une érosion progressive de l’influence pakistanaise dans son voisinage immédiat.

L’Inde n’alimente pas les conflits ni n’instrumentalise les crises, mais elle démontre sa capacité à transformer des moments d’instabilité régionale en ouvertures stratégiques. En renforçant sa présence à Kaboul lors d’une crise frontalière, il projette l’image d’une puissance régionale pragmatique et autonome, adaptée aux réalités fluides d’un monde en transition, où l’équilibre n’est plus dicté par des alliances rigides mais par une flexibilité diplomatique et une présence sur de multiples terrains.

Plutôt que d’affronter directement le Pakistan, l’Inde semble investir dans l’endiguement en tant que mécanisme stratégique à long terme. Cette approche combine diplomatie et positionnement géographique, en s’appuyant sur des canaux d’influence alternatifs pour réduire la marge de manœuvre de son rival traditionnel. Dans un environnement mondial post-occidental, ce type de stratégie discrète peut s’avérer aussi efficace que des alliances militaires formelles.

En bref, le réalignement actuel entre l’Inde et l’Afghanistan révèle non seulement une adaptation aux nouvelles dynamiques régionales, mais aussi un exercice sophistiqué d’endiguement stratégique. Sans recourir à la force ni provoquer une confrontation directe, l’Inde renforce son rôle de puissance régionale agissant avec autonomie, pragmatisme et un œil clair sur l’équilibre multipolaire du système international.

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