Finis Americae : la bulle de Wall Street se dégonfle

Nous avons toujours soutenu - et certainement pas les seuls - la thèse selon laquelle l’une des pierres angulaires fondamentales de la superpuissance américaine est la bourse de Wall Street. Les énormes déséquilibres commerciaux qui existaient depuis 1971 sont « guéris » grâce aux injections de dollars effectuées par les pays qui ont un excédent structurel dans leurs relations commerciales avec les États-Unis. Ce système est essentiellement né avec la mise en place du mécanisme mis en place par les États-Unis et l’Arabie saoudite et connu sous le nom de pétrodollar, qui se justifie par l’obligation de Riyad de vendre son pétrole en dollars et de réinvestir le surplus de monnaie américaine à Wall Street même ; en retour, Washington s’engage à garantir une protection diplomatique et militaire au trône de la famille des Saoud.

Le mécanisme s’est avéré si efficace qu’il s’est lentement étendu au monde entier, de manière à pousser les grands économistes (Marcello De Cecco en premier lieu) à définir les États-Unis comme les « acheteurs de dernier recours », en ce sens qu’en fin de compte, tout le surplus de biens produits a été, d’une certaine manière, absorbé par le marché américain ; bien sûr, à la condition tacite que les pays vendeurs réinvestissent les dollars excédentaires obtenus par les États-Unis dans Wall Street même. Bref, nous sommes passés du système du pétrodollar au système du tout dollar.

Un système qui d’une part poussait les Américains vers un consumérisme effréné et d’autre part poussait vers une très forte financiarisation. Quel aurait pu être l’intérêt de produire des biens avec du travail alors que vous pouvez obtenir les mêmes biens en imprimant des dollars et surtout vous pouvez obtenir les gains nécessaires pour alimenter la consommation en investissant votre épargne à Wall Street qui est copieusement alimentée par le capital en dollars de vos propres fournisseurs de biens ?

Un mécanisme qui – comme vous pouvez le deviner – donne la perception de vivre dans le pays de Bengodi, à une condition bien sûr ; celle d’avoir des capitaux/économies à investir dans la grande usine à dollars synthétiques qu’est devenue Wall Street : Wally, le plus grand tripot à ciel ouvert de l’histoire et qui plus est tout à fait légal ! Si, en revanche, vous êtes de l’autre côté de la barricade, les choses changent : si vous n’avez pas de capital à investir à Wall Street, vous finissez inévitablement dans les rangs des damnés du système ; les pauvres en guerre, les travailleurs pauvres. C’est-à-dire ce groupe – qui est devenu de plus en plus nombreux – de citoyens américains qui sont incapables de supporter une dépense imprévue de 1000 dollars et qui, selon CBS, a presque atteint 60 % de la population.

Comme on peut le deviner, il s'agit d'un énorme problème social auquel s'ajoute toutefois un autre : la politique et la Réserve fédérale doivent continuellement trouver une raison pour que Wall Street se développe. Une bourse ne peut pas croître arbitrairement sans raison économiquement valable, sinon il devient évident que le système économique a plongé dans une sorte de nihilisme financier où les cours boursiers augmentent simplement parce qu'ils ne peuvent pas faire plus que cela compte tenu de l'afflux de capitaux. Une situation qui, si les investisseurs en prenaient conscience, conduirait inévitablement à un krach ! Par Bacchus, les dogmes sacrés de l'économie néolibérale doivent être respectés, Wall Street ne se développe pas parce qu'elle est devenue un tripot à ciel ouvert, mais parce que les anticipations rationnelles le prévoient en fonction des profits futurs dus aux entreprises nouvellement cotées. C'est ainsi que naît la recherche spasmodique de nouvelles opportunités d'affaires à coter à Wall Street ; la grosse caisse de la presse grand public se charge ensuite du reste. C'est ainsi que se forment les "bulles financières".

Au tournant des années 90 et au début du siècle, nous avons connu ce que l'on a appelé la bulle Internet, où des tonnes d'entreprises qui n'avaient même pas de modèle d'entreprise crédible étaient cotées, sans parler des bénéfices ! Une bulle qui a misérablement explosé. Puis vint l'illusion des prêts hypothécaires à risque, qui a alimenté la bulle immobilière et la bulle financière connexe des titres titrisés qui contenaient des prêts hypothécaires à risque en grande partie défaillants. Cette bulle a également éclaté, provoquant non seulement l'effondrement des rangs des petits propriétaires laissés à la rue, mais aussi celui des grandes institutions financières surchargées de titres dont la valeur est inférieure à celle des confettis de Carnaval. Un immense désastre dont l'économie occidentale ne s'est jamais remise malgré les tentatives de gonfler d'abord la bulle verte et maintenant la bulle technologique des entreprises de haute technologie, de préférence axées sur l'Intelligence Artificielle.

La bulle verte, en phase de gonflement, nous savons bien qu’elle a également été stoppée à cause de l’hostilité de Trump qui a souvent critiqué la théorie du réchauffement climatique qui est la base pseudo-scientifique sur laquelle elle repose. Mais même par rapport à la nouvelle bulle High-Tech basée sur l’Intelligence Artificielle, quelque chose ne va pas.

Le fantasmagorique projet américain de 500 milliards appelé Stargate, qui était censé donner la suprématie mondiale en Intelligence Artificielle aux États-Unis et qui, surtout, aurait permis - à terme - de coter de nombreuses entreprises du secteur à Wall Street, gonflant encore une autre bulle providentielle, est essentiellement parti en fumée en raison de l’offensive chinoise dans ce secteur ; d’abord avec les intelligences artificielles super-performantes, peu coûteuses et open source divulguées par le chinois DeepSeek et juste ces jours-ci avec l’Agent AI Manus présenté par les développeurs chinois selon lequel les performances des IA de DeepSeek seraient également dépassées. Un double contrôle celui effectué par la Chine qui enlève la palme de la supériorité technologique américaine et qui, surtout, met en péril le modèle économique que les Américains voulaient imposer, basé sur des abonnements pour les utilisateurs intéressés par l’utilisation de l’IA avec des fonctionnalités premium.

Si l'on ajoute à ce camouflet le risque d'une guerre commerciale entre les États-Unis et le reste du monde et le risque d'une baisse de la demande globale américaine due aussi aux coupes draconiennes dans les dépenses publiques que fait Elon Musk avec son DOGE, le spectre de la récession pour l'économie américaine devient tangible et concret, à tel point que même Trump s'est exprimé ouvertement. Trop aussi pour Wall Street qui, hier en fin de journée, a vu l'indice Dow Jones chuter de 2,08%, tandis que l'indice technologique Nasdaq s'est effondré de pas moins de 4%, brûlant un trillion de dollars de capitalisation.

À mon avis, nous sommes dans une situation qui est beaucoup plus qu’un concours de circonstances qui a généré une simple chute boursière. Nous sommes confrontés à un véritable changement de paradigme pour les États-Unis qui est fait de guerres commerciales avec la fin relative de la mondialisation, la fin de la supériorité technologique américaine en raison du défi ouvert lancé par la République populaire de Chine, la fin de l’ère des dépenses déficitaires pour le gouvernement américain grevé d’une énorme dette publique et mettant également en péril le rôle de Wall Street dans la finance mondiale en raison de l’incapacité de l’économie américaine à dicter la ligne vers le monde par rapport aux nouvelles entreprises.

Une situation d’une extrême complexité qui devrait pousser toutes les puissances mondiales à s’asseoir autour d’une table pour établir un nouveau Bretton Wood qui refonde les institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI) aujourd’hui inutiles ou presque inutiles et qui détermine s’il faut continuer avec le dollar (peut-être dévalué) comme monnaie de compte internationale ou s’il convient d’établir une autre monnaie de compte, peut-être multipolaire, comme l’ancienne idée du Bancor proposée par Keynes dans le premier Bretton Woods.

Sans beaucoup d’accord, il est difficile de croire que l’ancien empire puisse regarder son propre déclin les mains dans les mains.

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