Journal de Gaza / Le jeu macabre de la nourriture : ils nous forcent à nous battre et seuls les plus forts finissent par manger

Alors que les Etats-Unis ont commencé les parachutages avec distribution d'aide humanitaire, à Gaza, il faut savoir changer de nature pour survivre. Ceux qui veulent manger doivent aussi être prêts à perdre leur dignité.

RAFAH - Il y a ceux qui sont forts par nature, qui voient un paquet d'aide humanitaire tomber du ciel et qui se lancent dans une course désespérée pour l'attraper. Il y a ceux qui peuvent. Il faut être résistant et jeune, capable s'il le faut de saper la race d'un voisin car c'est la seule nourriture que l'on pourra manger pendant des jours et on ne peut pas passer après. Il faut, le cas échéant, savoir être violent pour survivre. Et puis il y a les faibles, les timides, ceux qui ont une dignité qui ne leur permet pas de se jeter les mains en l'air en attendant un plat cuisiné que leur lancent les forces américaines.

Ce qui se passe dans la bande de Gaza avec la distribution de l'aide humanitaire est peut-être l'aspect le plus humiliant et le plus triste de ce drame. Il s'agit d'un jeu contre la dignité et la fierté des gens : les affamer jusqu'à ce qu'ils soient obligés de montrer le pire d'eux-mêmes. Les affamer au point de changer leur nature : ceux qui ne deviennent pas violents meurent de faim.

Personne n'empêche Israël de mettre en place une distribution bien organisée et digne de l'aide humanitaire, avec un nombre raisonnable de camions entrant dans la bande de Gaza. Actuellement, une centaine de camions entrent, et ce uniquement à Rafah, où il y a environ un million et demi de personnes à nourrir. Dans le nord, il n'y a plus de nourriture depuis des semaines : ma sœur qui vit dans le camp de Jabalia n'a pas mangé depuis huit jours, ses enfants ont marché pendant six heures pour ramener quelques grammes de farine à la maison. Aujourd'hui, ils ne mangent presque plus que de l'herbe.

Ce qui s'est passé lors de la distribution de l'aide au rond-point de Nabulsi, où au moins cent douze personnes sont mortes, décrit bien le dessein d'Israël. D'abord affamer les civils, ensuite minimiser la distribution de l'aide et enfin montrer au monde notre nature violente pour justifier leurs actions. Mais les Palestiniens ne sont pas comme ça, comme partout dans le monde il y a des criminels ici aussi, mais les personnes qui sont mortes - la majorité disent les médecins et les témoins de blessures par balles et non du syndrome d'écrasement comme le prétend l'armée israélienne - étaient simplement des personnes qui n'avaient pas mangé depuis des jours. Comme ma sœur et mes neveux.

Des photos circulent montrant des paquets de farine laissés sur le sol après les coups de feu de l'autre jour. Ils sont trempés dans le sang. Nous disons que la nourriture est liée au sang parce que pour l'obtenir, il faut travailler dur. Aujourd'hui, nous sommes allés plus loin : pour l'obtenir, nous mourons.

Mais attention. Dans la bande de Gaza, il n'y a pas de nuit où les bombes ne tombent pas, il n'y a pas de jour où des civils ne meurent pas. La communauté internationale s'indigne de ces chiffres : plus d'une centaine de morts au total font la une des journaux. Mais les civils tués par les bombes israéliennes se comptent par dizaines pour chaque opération : hier, un raid a anéanti une famille de onze personnes en frappant une tente devant l'hôpital émirati dans la banlieue de Tel Al-Sultan à Rafah ; entre Deir al-Balah et Jabalia, au moins vingt autres personnes ont été tuées et des dizaines d'autres ont été blessées. Le triste décompte des victimes nous apprend que chaque jour, ici, est un massacre des affamés.

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