Identité sous oppression. Est-ce que cela s’applique aux Palestiniens de Gaza ?

Les images des tentes improvisées et de milliers de civils entassés dans les écoles et les centres d’accueil palestiniens sont moins cruelles que celles du génocide en cours depuis trois mois, elles n’en portent pas moins les traits d’un nouveau crime, le déplacement de populations, devenu courant et justifié au cours du siècle actuel.

"Israël" n’a pas dissimulé depuis les premières heures des événements du 7 octobre 2023 son intention de déplacer les Palestiniens de Gaza et de les pousser vers le Sinaï à l’intérieur des frontières égyptiennes, sous prétexte de faire face à une menace imminente et de renforcer la sécurité de la région. Elle a promu l’option du déplacement des Palestiniens comme la solution idéale à cette crise.

Dans ce contexte, le processus de déplacement forcé constitue, selon les normes de la Cour pénale internationale, un crime contre l’humanité, commis à des fins politiques, raciales ou religieuses dans le cadre d’une attaque étendue. D’autre part, le crime de déplacement forcé constitue une violation flagrante des droits de l’homme, violant un large éventail de droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux.

Les textes des Nations Unies indiquent qu’il est en contradiction avec le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et prive les personnes de leur droit à la sécurité et à une vie décente, où l’impact de l’expérience du déplacement est clairement perceptible chez les femmes et les enfants qui ont perdu leur logement, leur protection et leur intimité. Ceux-ci ont subi des doses multiples de chocs, de pertes et de l’incertitude, et ont été contraints de vivre dans des camps et des regroupements dans des conditions où les éléments essentiels d’une vie décente ne sont pas disponibles.

Toutes ces expériences font partie des traumatismes transmis de génération en génération, persistants et continus. À travers cette étude, nous essayerons de suivre l’impact de ces crises sur l’identité psychologique des réfugiés palestiniens à l’intérieur de Gaza, qui représentent plus de 70% de la population de Gaza dans son ensemble.

Dès leur création après 1948, les camps de réfugiés palestiniens ont constitué un modèle distinct, se distinguant considérablement des autres regroupements tels que les villages, les villes et les zones rurales, tant au niveau de leur structure que de leur construction. La densité des habitations, les conditions sanitaires précaires à l’intérieur, les maisons contiguës et l’étroitesse des rues, liées à la limitation de l’espace accordé, ont tous contribué à faire des camps un espace de regroupement singulier. En raison de cette spécificité, les réfugiés palestiniens dans les camps éprouvent toujours un sentiment d’isolement, d’incapacité à s’intégrer dans l’environnement existant et dépendent des aides humanitaires fournies par des institutions internationales telles que l’UNRWA.

Ils ont perdu leur rôle dans le processus de production, ce qui a engendré chez les réfugiés des sentiments d’impuissance et de perte de pouvoir après avoir été propriétaires des terres et des moyens de production dans leurs villes et villages. Cette impuissance a généré un sentiment d’aliénation et d’isolement parmi les réfugiés dans les camps, créant une disparité économique manifeste entre eux et leur environnement après la perte de leurs bien et possessions.

Les camps de réfugiés palestiniens souffrent du manque de projets économiques susceptibles d’atténuer les problèmes de pauvreté et de chômage à l’intérieur. Une étude réalisée par les États-Unis (25 Aout 2022) a révélé que 80 % des habitants des camps de réfugiés palestiniens vivent sous le seuil de pauvreté. Ceci témoigne du niveau de vie précaire et des conditions économiques difficiles des habitants des camps, entraînant un sentiment d’étrangeté et de non-intégration, ainsi que sur les conditions humaines difficiles auxquelles les réfugiés ont été confrontés depuis le début de l’exil jusqu’à nos jours. Tout cela a incité le réfugié palestinien à craindre et à hésiter à établir des relations différentes avec cet environnement, renforçant ainsi son sentiment d’isolement.

L’une des personnes interrogées, rencontrée lors de mon voyage à Gaza en 2014 a souligné cette perspective en déclarant : "La vision négative envers les habitants des camps persiste en raison des conditions difficiles auxquelles ils sont confrontés, notamment sur les plans économique, spatial et des ressources limitées dont ils disposent. Cela a eu un impact négatif sur la psyché des habitants des camps, influant sur la nature de la relation entre eux et leur environnement. Il était donc difficile pour chacun d’entre eux de s’accepter mutuellement."
Dans ce contexte, il devient essentiel de faire la distinction entre deux catégories de réfugiés palestiniens : le "réfugié en exil" dans le contexte palestinien englobe un concept plus large, incluant tous ceux expulsés en dehors des frontières de la Palestine historique. D’un autre côté, les "réfugiés des camps" désignent ceux qui, après 1948, ont été contraints de dépendre de l’aide humanitaire et de s’installer dans des camps, que ce soit en dehors de la Palestine ou à l’intérieur des terres palestiniennes restantes, c’est-à-dire les territoires palestiniens occupés.

Malgré cela, les Palestiniens ont réussi au fil des années à construire et à façonner une nouvelle identité en réagissant à leur statut de réfugiés d’une part et en tant que Palestiniens d’autre part. De cette dualité émerge une identité de migrants qui ne fait pas face au rejet, à l’hostilité ou au refus, suggérant apparemment qu’ils n’adoptent pas de stratégie psychologique pour faire face à leur crise en tant que rejetés, comme c’est généralement le cas après l’émigration. En même temps, l’émergence de la situation de réfugié en tant que nouvel organisateur de la personnalité contribue à la confirmation de l’identité personnelle.

De plus, la personnalité des réfugiés dans l’environnement du camp exerce une influence sur leur structure cognitive. Sur cette base, bien que chaque individu ait des caractéristiques qui le distinguent des autres, il adopte une partie du comportement social qui définit le modèle culturel de la société. Ainsi, nous reconnaissons que l’identité individuelle du Palestinien a essentiellement une base culturelle, comme l’a souligné Erikson(1972) : "Le processus de formation de l’identité ne se situe pas seulement au niveau individuel, mais se forme également en profondeur dans la culture de sa communauté."

Les travaux de Devereux (1972) mettent en lumière l’interdépendance entre la culture et la personnalité, soulignant que ces deux éléments se manifestent conjointement. La culture joue un rôle crucial dans la construction psychologique interne de l’individu. Devereux explique que lorsqu’une société traverse des crises, cela expose l’identité individuelle à des perturbations significatives. Dans de telles situations, l’environnement social a tendance à influencer le noyau de la psyché humaine, composé d’une part de l’image corporelle et, d’autre part, de la personnalité ethnique formée pendant la période œdipienne et la phase globale "thématique". Ces éléments agissent comme des médiateurs entre l’individu et son environnement social et culturel."

Une étude menée par Asil Sawalha en 1996 sur un groupe de réfugiés palestiniens en Jordanie confirme ce que nous avons mentionné. Elle a souligné que le sentiment unifié et la détermination à retourner sont devenus une force et un atout contre toutes les forces menaçant l’identité palestinienne. Cette conclusion est également étayée par une étude de Randa Qaddah citant Arada Freij (2004), attribuant ce phénomène au rôle de la mémoire collective dans la préservation de l’identité palestinienne.

À partir de cette perspective, nous pouvons conclure que l’identité palestinienne a une spécificité qui repose fondamentalement sur le contexte de sa naissance et sur le chemin qu’elle a parcouru. Cela en fait un moteur de sa durabilité et de sa stabilité malgré sa dispersion dans le temps et l’espace.

Malgré toutes ces contraintes qui limitent le processus d’intégration des réfugiés palestiniens dans les camps à l’environnement extérieur, il y a eu un certain niveau d’interaction, même limité, entre eux et leur entourage. Cela s’est manifesté par l’émergence de quelques cas d’intégration résultant du mariage et du métissage, ainsi que par le développement de relations amicales et de connaissances grâce à la participation des réfugiés aux écoles et aux universités de l’environnement proche.

Malgré les facteurs qui entravent le processus d’intégration des réfugiés palestiniens dans les camps à l’environnement extérieur, il existe un type d’interaction - bien que limité - qui s’est produit entre eux et l’environnement, sous forme de certains cas d’intégration résultant du mariage, de la parenté, ainsi que de l’établissement de relations d’amitié et de connaissance grâce à l’inscription des réfugiés dans les écoles et universités de l’environnement proche. Une étude menée par Mohammed Miaari sur l’intégration sociale en Palestine a révélé que 46 % des habitants des camps avaient des connaissances et des amitiés en dehors des limites du camp. Bien que ce pourcentage soit modeste et indique une certaine appréhension à établir des relations avec l’environnement extérieur, il peut néanmoins être un indicateur de la possibilité de réaliser une intégration sociale entre les habitants des camps et l’environnement extérieur.

Ces affiliations à des groupes sont liées à des modèles idéaux, des perceptions et des sentiments qui imprègnent le sentiment de soi. Moscovici a exprimé cela en disant : "L’identité sociale de l’individu est liée à la connaissance de son appartenance à un groupe social particulier, dans le sens émotionnel et d’identification résultant de cette appartenance".

L’identité ethnique, selon Bernard (1970), permet de remonter à un passé et à une origine commune sous la forme d’une expression culturelle partagée, qui ne représente qu’une partie de la culture associée historiquement à cette ethnie. Il peut s’agir de la langue, de la religion ou des coutumes liées historiquement à cette ethnie. En se basant sur le fait qu’il existe un débat constant entre le "nous" et le "je", l’identité collective est la participation émotionnelle collective à la formation de l’identité collective, qui est la base de tous les types d’identités, car elle établit le sentiment d’identité à travers le sentiment d’appartenance ou la valeur de référence. Ainsi, l’identité collective est un élément d’homogénéité et de cohésion pour la société.

Il convient de noter que l’identité collective est activée et mise en avant chaque fois qu’il y a un sentiment de danger. L’identité individuelle se fond alors dans l’identité collective pour résister à tout ce qui pourrait porter atteinte aux caractéristiques de l’identité. Cela se produit également dans le cas palestinien, où malgré la présence de tensions internes dans les camps et en dehors, l’identité commune renforcée par le fait d’être Palestiniens a renforcé leur sentiment et constitué une partie importante de leur personnalité.

Ce constat se rencontre à la lumière de la cohésion manifestée plus tard par les habitants de Gaza, où les distinctions de classe qui se repèrent et les identifiants traditionnels tendent à se dissoudre. Cette dynamique augmente la fécondation et la coopération entre les traits communs à la population.

En décrivant quelques-unes des stratégies d’identité que les individus utilisent dans des situations d’interaction, nous pouvons mentionner l’identité de façade, où les immigrants semblent souffrir de sentiments négatifs en grande partie liés à la société hôte qui ne leur permet pas de s’intégrer. Cependant, en réalité, cette négativité n’est qu’un reflet direct de l’image qu’ils ont créée d’eux-mêmes, qui, à son tour, est un reflet de l’image que l’environnement externe crée d’eux. Cette image généralisée fait ensuite partie intégrante de la stratégie d’identité, visant à éviter la confrontation en essayant de projeter ce sentiment négatif sur les autres. Cela se produit souvent dans des situations où sont impliqués des migrants et des réfugiés.

En situation défensive, l’individu ou le groupe adopte une autre stratégie de défense consistant à ignorer les pressions et les critiques susceptibles de diminuer la valeur de l’identité, en considérant que le silence est la meilleure manière d’influencer et d’être influencé. Cette approche, selon Erikson, est appelée "apathie groupale" envers les critiques ou la culture menaçant son identité de disparition. Ce comportement se caractérise par la patience et la résilience, car il vise essentiellement à isoler toute tentative de fusion qui pourrait mettre fin à l’identité.

En bref, malgré les défis et les obstacles auxquels les réfugiés palestiniens sont confrontés dans les camps, l’identité collective est activée et mise en valeur en période de danger, et elle renforce également le sentiment de soi grâce à son intégration dans l’identité collective pour résister à tout ce qui pourrait menacer l’identité. . Des stratégies identitaires, telles que l’identité de façade et l’identité défensive, sont adoptées pour faire face aux défis et maintenir un sentiment d’identité.

L’identité en situation d’attaque et d’agressivité : Lorsqu’un individu ressent une menace pour la dissolution de son identité en raison de modèles comportementaux imposés par une autre culture, il se sent injustement traité et perçoit cela comme une agression directe contre lui. Il ressent une diminution de sa valeur et sa réaction est alors défensive et agressive pour repousser la menace contre son identité.

En général, le recours à l’une de ces stratégies en situation d’agressivité n’est pas systématique ni rigide. Il est soumis à des considérations individuelles d’une part, et à des éléments culturels et sociaux d’autre part, ce qui fait que la réponse de l’individu dans de telles situations se produit de manière complexe et circulaire.

Ainsi, les stratégies d’identité dans les situations conflictuelles ne peuvent pas être limitées à une classification spécifique. Cela démontre la diversité et la richesse de ces classifications, caractérisées par leur dynamisme et fortement ancrées dans les capacités d’innovation individuelles pour faire face aux conflits, les cristallisant en fonction des caractéristiques de l’environnement social.

La dimension humanitaire particulière et unique de la question des réfugiés palestiniens réside dans le fait qu’elle est le produit inévitable et délibéré d’un projet politique et pratique. Cette dispersion, ou cet "exode", constitue la charnière centrale de l’histoire et de l’identité palestinienne moderne. Personne ne peut comprendre les Palestiniens d’aujourd’hui, ni connaître leurs pensées, aspirations ou comportements, sans comprendre la tragédie à l’origine du problème. Leur situation peut différer de celle des immigrés qui ont un certain contrôle sur leur avenir, et c’est là que se manifeste ce que certaines études appellent "l’impuissance", qui les distingue des autres et qui reste gravée dans leur esprit même si leur situation est bonne.

C’est là que se manifeste ce que certaines études appellent "l’impasse", qui les distingue des autres et reste ancrée dans leur esprit même lorsque leurs conditions sont bonnes. En s’appuyant sur l’analyse psychologique, on peut observer comment cette impasse donne lieu à l’apparition de mécanismes de défense liés à la formation réactive pour atteindre des objectifs qu’ils cherchent à réaliser en fonction de l’éducation normative détenue par les familles réfugiées, qui aspirent à stimuler leurs enfants pour surmonter cette impasse et réaliser le succès et l’excellence, quelles que soient les circonstances.

Les perturbations qui ont affecté l’identité des Palestiniens, résultat d’années de crimes et d’injustices auxquels ils ont été confrontés, ne correspondent pas au modèle de "perturbations de l’identité" car leur expérience est transgénérationnelle, récurrente et en cours. Ici est requis un modèle plus authentique pour la pratique de la psychologie dans la société palestinienne, avec un plan spécifique prenant en compte leur situation, leur expérience, ainsi que les pressions et les conditions difficiles auxquelles la société palestinienne est confrontée et ne peut pas être simplement attribué à la résilience populaire interne et à la résistance palestinienne.

Il est nécessaire de déployer tous les efforts disponibles, même si les résultats ne sont pas immédiats. Se confronter à ce niveau de crimes, ; cela nécessite toutes les méthodes possibles, cela suppose mobiliser toutes les voies juridiques à tous les niveaux, l’engagement de poursuites internationales par les Palestiniens et d’autres, à l’instar de l’affaire intentée par le gouvernement sud-africain contre Israël. La demande de jugement des responsables de ces crimes et de leurs complices en tant que coauteurs du crime, et l’exigence collective de verser des réparations aux victimes, avec effet rétroactif pour toutes leurs souffrances.

Bien que cette démarche soit longue et épuisante et ne produise pas de résultats immédiats, elle crée des dossiers de pression et des enquêtes qui rendent le coût de ce crime élevé et continu. Les implications juridiques ne peuvent pas être ignorées ou niées par les auteurs ou leurs partisans, et elles fournissent une documentation matérielle de la portée de ce crime et de ses dimensions, ainsi qu’une tentative de préserver légalement les droits de manière inaltérable. De plus, ces dossiers de pression créent une nouvelle pression politique qui pourrait avoir un impact significatif à l’avenir.


Références :

1. Bernard, W. (1970). The Self and the Future. The Philosophical Review, 79, 161-180.

2. Devereux, G. (1972). Ethnopsychanalyse complémentaire. Flammarion, Paris.

3. United Nations. (2022, August 25). Moyen-Orient : le Commissaire général de l’UNRWA prévient le Conseil de sécurité de l’affaiblissement de cette agence sous-financée (CS/15006, 9116e séance – matin). [Press release]. Retrieved from [https://www.un.org/press/fr/2022/cs15006.doc.htm] (https://www.un.org/press/fr/2022/cs15006.doc.htm)

4. Erikson, E. (1972). Adolescence et crise, La quête de l’identité. Flammarion, Paris.

5. Frej, Arada (2004). Identité et intégration des Arméniens en Jordanie. Mémoire de maîtrise présenté en sociologie. Université jordanienne, Jordanie.

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