Monde : Qui est « l’ennemi » ?

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La lecture de nombreux témoignages, le visionnage de quelques vidéos et la fréquentation de quelques sites internet parmi ceux qui ressortent en premier des recherches les plus basiques, …. Tout cela donne un panorama de la situation. Évidemment, nous allons parler de la religion musulmane qui est aujourd’hui l’objet de vives critiques, mais nous allons voir que les divers procédés d’enrôlement ne sont pas limités à cette religion, ce qui devrait aussi motiver les services concernés à une « surveillance » plus intelligente que globale ou caricaturale.

Il n’y a pas Un profil, mais Des profils

A part dire que ces « djihadistes » (on préfèrera le terme terroristes fondamentalistes pour ne pas entacher le terme Djihad qui a une autre signification) ont moins de 40 ans, et même souvent moins de 30, il est difficile d’établir un profil type. Les raisons qui motivent cette rupture avec notre société sont variées mais montrent une inadaptation momentanée, une fragilité morale qui mène vers l’influençabilité. Il ne faut pas se dire que cela ne peut pas nous toucher car tout humain a ses moments de faiblesse.

Ici, nous trouverons des jeunes gens qui sont sortis très tôt du droit chemin autant que de parcours tout à fait « normaux ». Mais le point commun pourrait être trouvé dans le manque de « croyance » en l’avenir, qu’il soit personnel ou plus altruiste. Le peu de perspectives données à cette jeunesse, conduit à une fragilisation morale de l’individu. Pourtant, on retrouvera aussi des personnes insérées socialement avec de bons emplois, etc… Cette fois, on constate qu’il s’agit plus d’un problème d’acceptation, de différence de traitement de part ses origines, son faciès, qui conduisent aussi à un sentiment d’isolement. Pour d’autre c’est le sentiment de rejet entre son pays et celui de ses parents où ils sont vus aussi comme des étrangers. Ceci est plus spécifique à l’Europe mais par extension, une personne chrétienne et blanche peut avoir un sentiment d’injustice en regardant le traitement réservé à ses ami€s d’autres origines ou confessions qui ensuite la mène à sortir de sa propre « communauté ».

Répondre au sentiment d’isolement par une adhésion à une communauté

Si on prend le cas courant de la « rupture amoureuse », l’individu victime se sent rejeté, inutile, blessé, brisé. Ici, c’est souvent aussi une rupture d’un amour déçu avec la société dans son ensemble. Le pays qui devrait nous aimer comme chacun de ses enfants nous a rejetés socialement ou spirituellement. Car il y a aussi un sentiment de rejet de certaines valeurs dans cette société. Deux déclencheurs de cette rupture sont particulièrement fréquents : La loi sur la dissimulation du visage et la Loi sur le mariage homosexuel. Pour la première, c’est le fait qu’elle se soit transformée en « loi sur le voile » dans l’esprit du public mais aussi des forces de l’ordre, qui a renforcé un sentiment de persécution. Pour la seconde, c’est un choc par rapport à la valeur du mariage, vu comme sacré.

La religion, dans ces deux cas, est un repli évident afin de retrouver le sentiment de communauté. On l’a vu plus nettement dans « La Manif pour Tous » où des groupes se sont constitués et où il y a eu une porosité entre religions sur cette question. On peut rajouter à cela les agressions de femmes voilées, les tags sur les mosquées. Mais un troisième élément vient aussi : Le conflit israélo-palestinien. Les images des massacres à Gaza sont légion et la question est clivante. Si coté religion juive, il y a aussi une montée des extrêmes autour de cette question, on retrouve de la même manière une instrumentalisation du conflit coté palestinien qui mène à une rivalité plus religieuse que territoriale. L’envie d’aider la cause palestinienne donne un sentiment d’utilité dans un monde qui manque de sens, du moins dans la vision qui est renvoyée par notre société. D’autres déclencheurs plus personnels peuvent intervenir. Dans le cas d’un Coulibaly, on parle de promesses et d’espoirs déçus… Il n’y a jamais un seul déclencheur à ce basculement mais un ensemble de facteurs.

La Religion comme réponse

A l’adolescence, cette recherche de sens et de spiritualité est fréquente. On s’interroge bien souvent sur « sa religion » et on explore d’autres terres spirituelles. Ainsi s’explique le fait que des catholiques se convertissent à un islam radical, surtout que la conversion est plus facile que dans la religion chrétienne. Mais il existe quelques exemples de radicalisation coté chrétien ou de dérives sectaires, car le mécanisme est bien le même. Il est rare que la conversion se fasse directement vers un islam radical et fondamentaliste. Si l’on ne s’attache qu’à la religion musulmane, il y a un problème de représentativité. Les imams des mosquées ont une image de traîtres ou de collaborateurs à l’oppression des musulmans, sinon à de mauvais défenseurs. Les imams les plus médiatiques sont souvent les plus haïs par la communauté musulmane.

Le décalage entre textes et discours des imams est souvent remonté et surtout par bouche à oreille ou via des forums. A l’heure d’internet, le jeune converti a le réflexe d’aller chercher des informations sur la religion. La religion musulmane a le défaut d’avoir été écrite dans un contexte guerrier et d’être complexe dans la somme de textes qui la compose. Cette complexité favorise des interprétations et des mises en valeurs de textes qui n’ont plus lieu d’être. C’est un peu comme si on ressortait des déclarations de religieux à la période des croisades ou de Jeanne D’arc ou certains passages ignorés de la bible.

Un des points essentiel est cette notion « d’alliance et de désaveu », utilisée par les salafistes comme justification. Pour résumer, c’est le fait de ne pas faire de compromis avec celui qui n’est pas musulman. Or, la religion musulmane dit tout autre chose, parlant des autres religions avec tolérance, sans même parler des idées communes qui composent les trois grandes religions monothéistes.

Une recherche sur internet autour de l’islam mène souvent à des forums investis par des « prédicateurs » qui donnent des interprétations fondamentalistes des textes. Ce sont les textes les plus problématiques qui se retrouvent en lumière et donc amènent sur la mauvaise voie. Comme les érudits de la religion musulmane ont perdu la représentativité et la respectabilité auprès de ces jeunes, il ne peut y avoir contradiction et débat. Cela est comparable aux fondamentalistes chrétiens qui refusent l’autorité du Pape, sans même parler de Chiisme protestantiste.

Le Confusionnisme, carrefour des dérives

Il y a donc confusion sur ces textes mais là ne s’arrête pas la dérive. Car d’autres éléments viennent renforcer ce désir d’en découdre, de défendre une cause. Il y a notamment la théorie du complot. On y retrouve les juifs, les franc-maçons, les américains, … Et toutes ces idées sont propagées par une galaxie de sites et vidéos qui mêlent vérités, mensonges et vraies questions non résolues.

Un exemple « soft » avait été donné ici , mais on en trouve des plus radicaux où se rencontrent des défenseurs de la cause palestinienne, de la religion chrétienne, musulmane, juive, des valeurs de la France, j’en passe… Cela répond à des angoisses, alimente des paranoïas que l’on justifie alors par de véritables exemples, comme les mensonges sur le Koweït (les bébés en couveuse) ou sur l’Irak (les armes de destruction massive). Pour quelqu’un en recherche de sens, il n’en faut pas plus pour écouter ces prédicateurs d’un nouveau genre. Cela peut mener sur le salafisme mais aussi dans des groupes radicaux d’autres religions fondamentalistes ou dans l’extrême droite la plus radicale. Alors que ces divers groupes devraient se haïr, il y a une entraide car chacun pense pouvoir tirer son épingle du jeu en cas d’explosion de la société….que certains appellent « civilisation ». Là encore, on retrouve le sentiment d’appartenance communautaire en réponse à l’isolement.

La réponse : la guerre

Si aujourd’hui, les groupes radicaux chrétiens, d’extrême droite n’appellent pas encore leurs membres à prendre les armes, c’est à la fois parce qu’il n’y a pas l’idée d’une terre sainte et parce qu’ils attendent une situation insurrectionnelle (cf. par exemple ce qui s’est passé en Ukraine). Pour les groupes d’obédience salafiste, il y a l’idée du Hijrah ou migration en terre sainte pour en débarrasser de l’ennemi, qu’il soit occidental ou chiite. On remarquera au passage l’image de Jeanne D’arc et Charles Martel souvent utilisée par les autres groupes extrémistes et qui se fondent aussi sur une même idée.

Cette guerre menée en Syrie et Irak et ce recrutement se fait pour « bouter les apostats ». Mais dans l’idéologie de ces groupes, on parle d’aller jusqu’à Constantinople (Istanbul aujourd’hui), tout autant que libérer la Palestine ou La Mecque. Paradoxalement, les saoudiens sont vus aussi comme des traitres alors qu’ils financent parfois des idéologues salafistes. C’est qu’en réalité, il y a plusieurs mouvances, et les saoudiens sont dans celle du Quiétisme. L’idée que le jihad puisse se faire non pas par le seul spirituel mais aussi par une contribution financière explique les flux financiers qui aboutissent à l’enrichissement du groupe Etat Islamique.

Les arnaques au crédit à la consommation sont décrites comme un juste retour des choses et un « butin » dans le sens historique et religieux. Aussi incohérente soit la pensée salafiste jihadiste aujourd’hui, elle rejette par essence le débat théologique et prône l’utilisation des armes de l’ennemi. On voit ainsi des poses guerrières arborant des marques occidentales mais il s’agit d’afficher cela comme des prises de guerre et non du simple blingbling. La similitude fait mouche. Le rejet des lois, de la démocratie est mis en exergue avec comme jusfiticatif que l’homme ne peut créer des lois autres que celles de dieu. Ainsi, le criminel peut-il plus facilement trouver la rédemption puisqu’il n’aurait fait que prendre au riche. L’idéologie guerrière et le refus de la peur de la mort n’est évidemment pas spécifique au salafisme dans l’histoire et on trouve aussi cela aujourd’hui jusque dans certains groupes bouddhistes en Thaïlande, Tibet, Birmanie.

L’intelligence de l’ennemi

On caricature trop souvent ces jeunes comme de repris de justice ou des naïfs. On parle d’imams autoproclamés et incultes. Pourtant, on retrouve parmi ces groupes terroristes des personnes ayant eu des cursus brillants, ce qui est aussi présent dans d’autres parcours vers l’extrémisme religieux, hors islam. C’était particulièrement évident parmi les membres fondateurs d’Al Qaeda, comme Abdullah Yusuf Azam, Ayman al-Zawahiri. On retrouve aussi des parcours théologiques chez quelques membres de l’EI ce qui ne signifie pas qu’ils soient faits sur la bonne voie. Si l’ennemi désigné était si inculte et imbécile, il ne saurait pas aussi bien utiliser les réseaux sociaux, les méthodes de propagande mais aussi de piratage. Il reste bien des failles et ceux que l’on met en première ligne ne sont pas les plus manipulateurs.

Il y a, comme dans toute idéologie, des penseurs et des bras armés, des organisateurs et des exécutants. Le chiffrement des données, notamment, est loin d’être aussi sophistiqué ou utilisé qu’on le croit. On a vu, lors des attentats en France, que les méthodes étaient encore basiques et naïves. L’utilisation de réseaux parallèles genre « darknet », comme le présente de manière simpliste la presse, est loin d’être si évoluée alors qu’il existe des méthodes moins exposées et plus basiques pour la transmission d’information. Si on continue de voir l’utilisation de réseaux sociaux comme Facebook pour la diffusion de propagande, c’est que c’est une « chair à canon » numérique qui est envoyée sur un réseau largement espionné par des organisations aux intérêts divergents.

Conclusion

L’ennemi présenté a pris la forme, aujourd’hui, d’un groupe baptisé État Islamique. En dehors des considérations historiques et géopolitiques, il est constitué aussi d’un recrutement occidental de plus en plus large et qui justifie toutes les surveillances et renforcement de lois sécuritaires. Pourtant, en s’attaquant à tout le monde par ces lois, on finit par ne s’attaquer à personne et surtout à oublier ce qui a créé cet ennemi de l’intérieur.

Si aujourd’hui c’est la religion musulmane qui est utilisée principalement, c’est aussi par un opportunisme que nous avons créé. Rien ne dit demain que la porosité entre ces groupes à travers les diverses théories du complot ne mettra pas en avant une autre idéologie que le salafisme jihadiste.

En dehors de toute considération philosophique sur la nature violente de l’Homme, il faut se regarder dans les choix de société et les choix politiques ce qui conduit à une telle situation. Les fragilisations sociales et économiques du monde ne sont pas étrangères à cette montée des extrémismes religieux.

Plus généralement, on peut observer des phénomènes similaires dans d’autres zones du monde. Les états les plus sécuritaires (Chine, Russie, Etats-Unis, …) ne parviennent pas à lutter contre cela. Cette lutte ne se fera donc pas par des lois aveugles mais par des lois intelligentes tout en retrouvant le chemin de l’humanisme, qui a été oublié, poussant les égarés de nos sociétés sur l’avenue des extrémismes.

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