Comment résoudre l’obéissance sociale à la « voix de commandement » des médias et des réseaux

La photo, l’indignation et l’obéissance

On a parlé à en avoir la nausée de la photo de la réunion d’anniversaire de Fabiola Yañez [1]. Nous savons tous qu’il y a des choses bien plus importantes que la tenue d’un anniversaire qui était déplacé.

Certains journalistes ne se sont portant pas indignés de l’implosion du sous-marin ARA San Juan, ni de l’endettement [du pays pour un siècle] contracté sous le gouvernement Macri. Depuis le début de la quarantaine, ces journalistes ont tout fait pour boycotter les mesures de soins et le vaccin Sputnik V. Ils ont appelé à des manifestations et n’ont pas été scandalisés par l’incendie des masques ou par les sacs mortuaires suspendus sur la Plaza de Mayo.

On connaît l’irresponsabilité des « informateurs », la production de fausses nouvelles et le penchant pour la déstabilisation de la démocratie. Même si cette fois il ne s’agit pas d’un fake new, force est de constater qu’il y a deux poids deux mesures et ce n’est pas une nouveauté de dire qu’une opération a été mise en place pour mobiliser le rejet social du gouvernement.

Il est inquiétant de ne trouver aucune modification de comportement ou d’apprentissage au sein d’un vaste groupe d’individus informés exclusivement par la télévision, les réseaux sociaux et WhatsApp. Un secteur important du social continue avec la contrainte de la répétition non critique des messages de communication, exagérant les affects promus par les grands médias auxquels ils obéissent comme s’ils recevaient des ordres.

Encore une fois, il est démontré que les grands supports de communication occupent, pour beaucoup, la place de l’Idéal, instance symbolique établie par Freud, qui indique et organise les identifications, c’est-à-dire les photos approuvées, ignorées ou rejetées.

Les premières renvoient aux actions de l’opposition politique, qui sont toujours applaudies et louées, quel que soit leur sens. Dans le cas de certains des scandales évidents liés à la fonction elle-même, elles ne sont pas mentionnées, sont inconnues. Les photos désavouées, qu’elles soient réelles ou falsifiées/détournées, sont toujours utilisées pour attiser l’indignation sociale contre le gouvernement et la politique.

Le scandale déclenché à la suite de la photo de l’anniversaire de Fabiola a montré le degré d’obéissance sociale aux médias. Au-delà de l’aspect contestable de l’épisode, il faut, avant la campagne électorale , attiser la haine et l’indignation de la masse, qui obéit aux ordres donnés par l’Idéal, sans assumer la responsabilité de la déconstruction du message ou des objectifs de son utilisation.

Il est utile de rappeler l’expérience de psychologie sociale menée par Stanley Milgram à l’université de Yale, publiée dans le Journal of Abnormal and Social Psychology (1963) sous le titre « Soumission à l’autorité ». Le test avait pour but de mesurer le niveau d’obéissance aux ordres d’une autorité, dans un contexte où ceux-ci seraient en conflit avec la conscience personnelle.

Stanley Milgram, à la suite de l’holocauste causé par les nazis, a commencé à s’interroger sur l’obéissance à l’autorité et à se demander si un sujet serait capable de torturer et de tuer en obéissant aux ordres. Il a conclu que lorsque le sujet est devant l’autorité, il obéit à ses préceptes, le discernement rationnel cesse de fonctionner et il y a une abdication de responsabilité.

Le psychologue étasunien a mis au point une expérience : on a dit aux volontaires qu’ils allaient participer à un essai concernant l’étude de la mémoire et de l’apprentissage, alors qu’en réalité il s’agissait d’une recherche sur l’obéissance à l’autorité.

Le test consistait en ce que le participant devait appliquer des décharges électriques supposées douloureuses à un autre sujet, qui était un acteur qui faisait semblant de les recevoir. Il fallait faire souffrir un citoyen simplement parce qu’on vous le demandait pour une expérience scientifique. La plupart des participants ont continué à envoyer des décharges malgré les supplications de l’acteur de ne pas le faire.

Au-delà de quelques différences individuelles, les résultats ont montré que des personnes « normales » des deux sexes, d’âges, de professions, d’idéologies et de classes sociales différents, se soumettaient docilement à l’instruction de l’expérimentateur, étant capables de se comporter avec cruauté. Le professeur Milgram a tiré deux conclusions pour expliquer ses résultats :


• 1) L’obéissance consiste dans le fait qu’une personne se considère elle-même comme un instrument qui réalise les souhaits d’une autre personne, ne se considérant pas responsable de ses actes.

• 2) Les gens ont appris que lorsque les experts leur disent que quelque chose est bien, probablement c’est le cas, même si cela n’en a pas l’air. Le principe d’autorité n’est presque jamais remis en cause. De la psychanalyse on peut ajouter à l’expérience de Milgram que l’ordre du surmoi implique une pure obéissance à la voix.

Pascal-Quignard, dans « La Haine de la musique », soutient que le mot « obéir » vient du latin et signifie « savoir écouter » …oboedescere, qui serait composé de l’élément —scere(comme dans souffrir et devenir fou) sur le verbe oboedire, composé avec ob et audire. Quignard dit : « Je le résume dans la formule : les oreilles n’ont pas de paupières » [et il ajoute : « Je m’étonne que les hommes s’étonnent que ceux d’entre eux qui aiment la musique la plus raffinée et la plus complexe, qui sont capables de pleurer en l’écoutant, soient capables dans le même temps de la férocité. L’art n’est pas le contraire de la barbarie… La sidération de l’audition donne la mort… Le fascisme est lié au haut-parleur… »].

L’audition, l’audientia, est une obaudientia, donc une obéissance. Ainsi, l’obéissance a un lien essentiel avec la voix qui exige la soumission et l’obéissance.

Sachant que Freud a remarqué qu’une puissante composante libidinale opère dans le lien entre la foule et le leader qui combine le renoncement à toute initiative personnelle, la « soumission humiliée » et l’absence de critique, comment résoudre la question de l’obéissance sociale fascinée par la « voix de commandement » des médias et des réseaux ? C’est une question politique centrale qui traverse la culture et qui affecte le destin de la démocratie.

L’expérience a montré qu’environ 35% refusaient d’administrer les décharges les plus élevées. Tous les individus n’étaient pas disposés à obéir aveuglément et sans limite.

C’est dans le « pas-tout » d’où peut surgir ce que nous sauve.


Notes

[1] Fabiola Yañez est l’épouse du président argentin en exercice. Photo de famille en privé sans respect des mesures sanitaires anti-Covid en vigueur dans la résidence présidentielle.

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