De la laïcité apaisée à la néo-laïcité profanatrice

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Un climat malsain s’est étendu sur la société qui fait de la laïcité le cheval de bataille d’une guerre idéologique qui n’aurait pas dû avoir lieu. La France a de vrais problèmes liés au Coronavirus et à la perte relative de sa compétitivité industrielle en Europe et dans le monde, ainsi qu’au fossé grandissant entre les nantis et les moins nantis. Le combat idéologique au nom de la laïcité fait diversion aux vrais problèmes de société et crée une polarisation dont les effets sont diamétralement opposés à ceux qu’escomptent ses partisans.

Je reviens à deux phénomènes qui sont à l’origine des attaques terroristes de ces dernières semaines dont la France a le triste monopole en Europe, à savoir les caricatures et le droit au blasphème.

Un proverbe chinois dit que le sage ne tombe pas deux fois dans le même puits. Or, Charlie Hebdo a une fois publié les caricatures et cela a causé la mort de 7 journalistes et 5 autres personnes aux mains des fanatiques djihadistes. Une seconde fois Charlie Hebdo a récidivé et la conséquence en a été la mort de plusieurs personnes dans plusieurs attentats. Le droit imprescriptible de blasphémer et de faire des caricatures a été déclaré comme un droit sacré, motivation de cette action que j’estime personnellement irresponsable et irrationnelle.

Penchons-nous sur le problème : certes, le droit au blasphème est reconnu, mais est-il sacro-saint ? Ne faudrait-il pas le critiquer et le remettre en cause au nom même de la liberté ? Est-on absolument libre d’offenser les autres, catholiques, Juifs, Musulmans, par le plaisir pervers de les ridiculiser au nom de la liberté ?

Ma liberté s’arrête là où elle empiète sur celle des autres. Or, les caricatures ne laissent pas de choix aux offensés pour une éventuelle riposte : quel musulman pourrait critiquer la laïcité par des caricatures sans être honni publiquement et quel serait le journal qui s’aviserait de le publier ?

Mes critiques de la nouvelle forme de laïcité (que j’appelle néo-laïcité en contraste avec celle des pères fondateurs) m’ont exposé à des injures racistes et à une haine inextinguible chez certains qui mettent sur Facebook leurs propos indécents sans aucune crainte de ses conséquences. Et pourtant, je n’insulte pas, je ne fais que raisonner (peut-être mal, mais qu’on me rétorque par un contre-raisonnement).

En l’occurrence, il n’y a pas égalité, il y a domination dans l’exercice d’un droit qui n’a rien de sacré au nom de la liberté lorsqu’on blasphème aussi cruellement.

La liberté doit être argumentée et surtout, marquée par la modération et la pondération qu’exigent la situation d’une France qui se veut terre de tolérance. Les caricatures poussées à ce degré d’extrémisme contreviennent à la tolérance, elles remettent en cause la dignité des autres, elles l’ont fait avec les catholiques mais est-ce que cela les légitime pour autant ?

Ne doit-on pas préserver leur légalité (en théorie tout le monde pourrait exercer ce droit comme un peu partout en Europe démocratique) tout en prenant en considération la situation concrète dans laquelle se trouve la France ? La modération et la tempérance ne devraient-elles pas être des vertus majeures, surtout dans le sens de la responsabilité de chacun face à une situation tendue ?

Tout le monde sait (sauf vraisemblablement les profanateurs de Charlie Hebdo) que l’islamisme radical est un danger mortel pour la démocratie. Les autres démocraties occidentales en tiennent compte, non seulement au niveau de l’Etat, mais aussi des citoyens.

Au lieu de cela, en France, piétiner le bon sens au nom d’un idéal de blasphème désancré du réel fait que non seulement on publie les caricatures, mais on le fait comme un acte héroïque et dans une effervescence dionysiaque (cela se termine souvent par la mort des innocents) et qu’on bisse, voire trisse.

Que l’on doive combattre l’islamisme radical autant sur le plan idéologique que manu militari va de soi, mais provoquer puérilement les fondamentalistes et le reste du monde musulman en crise par l’exhibition de ces caricatures crassement blasphématoires relève de l’absence des rudiments de bon sens dont Descartes prétendait qu’il était la chose du monde la mieux partagée.

Le djihadisme est susceptible d’une solution militaire parce qu’il concerne une minorité. Le blasphème touche au cœur d’un nombre incomparablement plus élevé de musulmans dont le comportement ne se calque pas sur celui des catholiques du 19° siècle. Ces derniers savaient souvent se défendre dans une France où ils étaient majoritaires. Les musulmans sont minoritaires et surtout, marqués par cette domination qui s’enracine historiquement dans la colonisation.

Le Français sécularisé et laïque ne perçoit pas nécessairement son acte iconoclaste dans son ancrage historique ; à juste titre ou non, nombre de musulmans le ressentent vivement comme un avatar de mépris et de domination néocoloniale.

Gardons les lois sur la liberté du blasphème pour sacrifier à la tradition iconoclaste, mais exerçons cette faculté profanatrice avec perspicacité et retenue. A chaque fois que l’on remet sur le tapis ces maudites caricatures, d’un côté on exalte une liberté totalement abstraite, de l’autre on cause la mort des innocents.

Les trois derniers attentats ont été faits par ceux qui n’étaient pas nés en France : l’un né au Pakistan, l’autre en Tchéchénie et le troisième, en Tunisie. L’extrémisme islamiste a changé de face : désormais, l’indignation ne se cantonne pas à la nation chez les musulmans de seconde génération ou des convertis, mais s’étend aux musulmans du monde entier comme tel. C’est extrêmement dangereux et qui plus est, inutilement.

Il est quasiment certain que sans la republication des caricatures les innocents qui ont trouvé la mort n’auraient pas souffert d’une fin aussi tragique. L’exemple des autres pays européens est là qui le prouve amplement. Et pourtant, on continue à nous seriner qu’il faut lutter contre l’islamisme radical en affirmant solennellement les vertus de la laïcité et en particulier, de la liberté au sujet du blasphème et des caricatures. Plus on s’adonnera à cet exercice dangereux et plus on exacerbera le danger en jouant avec le feu et en répétant tristement ce qui est devenu comme un rituel désormais bien établi : la mort des innocents, des manifestations collectives, les déclarations solennelles des politiques, l’affirmation d’un soutien indéfectible aux mœurs laïques et la défense de la liberté d’expression et après ce branle-bas unanimiste, les victimes font leur deuil et la société se prépare insensiblement à une nouvelle tragédie, dans l’attente que l’on publie de nouvelles caricatures et que l’irresponsabilité civique se pare des vertus d’un héroïsme désincarné.

A quand la lucidité dans l’exercice de la liberté ? A quand le retour à une laïcité qui apaise et qui ménage comme c’était le cas de ses protagonistes de jadis, à quand l’abandon d’une néo-laïcité qui fait office de sacré et entend s’adonner au droit de critiquer les « mécréants » (c’est ce que font désormais les caricatures qui blasphèment dans un esprit « religieux » sans en avoir l’air en désignant les musulmans comme de nouveaux « hérétiques »).

Sacré contre sacré, désinvolture néo-laïque contre fanatisme islamiste. Renoncer aux excès du blasphème n’est pas signe de faiblesse, mais de maturité. On devrait user des caricatures à dose homéopathique, non sous une forme pléthorique.

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