Tunisie : neuf ans après, les blessures toujours béantes des victimes

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Neuf ans après la révolution tunisienne, qui a débuté le 17 décembre 2010, les victimes de violations graves des droits humains vivent toujours une situation de grande détresse. Soins mal coordonnés, indemnisations partielles, manque de reconnaissance officielle, la liste est longue des souffrances intimes et des frustrations qui s’ajoutent à leur peine.

Ses vertiges se sont accentués ces derniers temps. Rached Jaïdane, 56 ans, arrive en titubant dans le bureau de Tunis de l’Organisation mondiale contre la torture, où nous l’attendons. Il lui faut une dizaine de minutes pour reprendre ses esprits et retrouver l’usage de la parole.

« Est-ce à cause de la reprise du procès, pour les tortures subies durant vos treize années de prison sous l’ex-président Ben Ali, dans le cadre de la chambre spécialisée en justice transitionnelle de Tunis ? »

« Non », répond-il.

« Le procès me procure des forces et de l’énergie afin de continuer à batailler pour une cause qui dépasse ma propre personne. Mais cette sensation de défaillir, qui me prend d’un moment à l’autre, est due aux séquelles de la torture. J’ai perdu l’ouïe à 80 %, j’ai l’œil droit à moitié défoncé, je souffre d’hépatite, de fractures dentaires, de problèmes de plaquettes, de déficit vestibulaire, de névrose post-traumatique et j’ai été terrassé en prison par deux arrêts cardiaques ».

19.252 victimes de violations graves, selon l’IVD

Jaïdane estime qu’il a eu malgré tout « de la chance ». La « chance » d’avoir été pris en charge sur le plan psychologique par l’Institut Nebras pour la réhabilitation des survivants de la torture, une ONG tunisienne de médecins spécialisés dans les traumatismes. La « chance » également d’avoir été soutenu par des organisations internationales comme l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, Trial International et le Comité des Nations unies contre la torture, qui a condamné en 2017 la Tunisie pour les sévices infligés à Jaïdane.

D’autres victimes, par milliers, n’ont pas reçu le moindre soutien. Elles vivent aujourd’hui dans une grande détresse psychologique et une infinie précarité financière. Neuf ans après le déclenchement de la révolution tunisienne, porteuse d’immenses espoirs de justice, de redevabilité et de vérité, le 17 décembre 2010, elles voient leur situation péricliter.

Après la fin de la commission vérité, qui a clos ses travaux le 31 décembre 2018, les autorités n’ont pas mis en place le Fonds de la dignité pour la réparation des victimes ; elles n’ont pas non plus réactivé le processus de justice transitionnelle censé se poursuivre avec la réalisation des recommandations de l’Instance vérité et dignité (IVD).

Lors de sa conférence de clôture, les 14 et 15 décembre 2018, l’IVD a présenté des chiffres. Sur les 57.000 victimes dont les dossiers ont été retenus et validés par l’Instance, 19.252 ont subi des violations graves des droits humains : homicides volontaires, procès inéquitables avec condamnation à mort, arrestations arbitraires, tortures, viols, violences sexuelles, disparitions forcées. « Les victimes souffrent aujourd’hui à 72 % de complications physiques et à 88 % de problèmes psychologiques visibles à travers des situations de dépression, de stress post-traumatique, d’isolement et de panique.

Beaucoup d’entre elles nous ont confié être toujours incapables de passer devant un poste de police sans trembler de la tête aux pieds », expliquait alors Hayet Ouertani, la psychologue qui a présidé la commission Réparations et réhabilitation de l’IVD. Ce décompte comprend des victimes de violences commises de juillet 1955 à décembre 2013 (mandat de l’IVD).

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