Un simple shopping au centre-ville de Tunis, un passage au marché de l’Ariana, m’a mis mal à l’aise… ahurissant le nombre d’articles « superflus » voir « inutiles » vendus sur les étalages dans les rues tunisoises !!!!!
Les vendeurs à la sauvette vivotent comme ils peuvent en vendant ces articles-là au risque de se faire attraper, malmener, humilier, voire plus… par ceux qui ont fait de leur fonction - à l’origine des plus nobles - un vrai défouloir… Me voilà bousculée par une course-poursuite entre deux jeunes marchands et une meute de policiers… une scène à laquelle on commence à s’habituer et même à y prendre partie… Tantôt les passants font de leurs mieux pour entraver comme ils peuvent la course des policiers, tantôt ils aident les petits malheureux à cacher leurs marchandises dans les cages d’escaliers des vieux immeubles du centre ville de Tunis, il leur arrive aussi de les poursuivre à leur tour pour ramasser et leur remettre les articles qui tombent de leurs poches et bras pendant la course…
Une solidarité populaire née de la conscience collective de l’injustice dont sont victimes ces pauvres gars, dans un contexte général de grand débat autour de la loi de la honte, celle de l’impunité, la fameuse loi de la réconciliation économique… Un non-dit présent dans tous les esprits et exprimé comme une évidence dans les regards échangés entre passants complices… « Cette loi, si elle passe… et, elle passera malgré tout… c’est clair pas besoin de débat » me suis-je dis alors, en assistant à tout ce manège pour la énième fois…
Le lendemain matin les marchands reprendront – bien entendu - leurs emplacements et les policiers leur « fonction »… La spirale que l’on connait, infinie et surtout INFERNALE… Le temps n’a, chez nous, vraiment pas de valeur… Ces petits vendeurs là sont certainement liés à ce que l’on appelle communément «Contra», le réseau de contrebande tant nocif au pays, mais ils n’en sont que le dernier maillon, le plus faible obligatoirement, le maillon des désespérés en mal d’autres moyens légaux pour survivre et faire vivre leurs familles…
Que trouve-t-on sur ces étalages éparpillés un peu partout, rue Charles de gaulle et alentours… sous les arcades de «Porte de France», quartier plutôt chic de Tunis des années 60 et 70, dans les fameuses petites boutiques de «Sidi Bou Mandil », un peu partout dans les souks de la médina (de plus en plus défigurée) et les boutiques environnantes de tous les marchés municipaux en général:
Des accessoires féminins: pinces à cheveux, des chouchous pour cheveux, des serre-têtes ou head-band, des bijoux fantaisie, des breloques, des petits accessoires pour petites filles (couronnes de princesses, petits sac-à-main…), de grands foulards pour hijab, des rouges à lèvres et autres produits de maquillage, des parapluies, des petits cœurs en peluche… et même des petites postiches : chignons artificiels, queues de cheval, nattes africaines …
Objets de déco, vases, stickers, fleurs artificielles, lampes, tapis, bougies flottantes, coffres à bijoux, embrasse-rideaux…
Une image me traverse l’esprit chaque fois que je me trouve devant une pareille marchandise et me donne le vertige : un navire géant traversant les océans depuis Taïwan ou la Chine ou n’importe quel pays du bout du monde, à son bord des containers en fonte chargés de marchandises aussi insignifiantes, secondaires… Un exemple des plus stupéfiants : un minuscule petit ballon attaché à une petite raquette par un fil élastique invitant à un exercice des plus absurdes pour PASSER LE TEMPS!!!!!! Surréaliste …
Pour ne parler que d’accessoires et d’articles de déco, il m’a semblé qu’ils présentent quelques caractéristiques communes extrêmement significatives quant à la mentalité régnante nourrissant ce commerce absurde :
De la super-camelote, il est clair que la qualité n’est vraiment pas dans la liste de nos priorités… Rien de vital, mais juste du superflu… Nous somme certainement un peuple en mal de «cause», de raison de vivre essentielle pouvant canaliser toute cette énergie et toute cette richesse c’est pourquoi le temps nous semble un fardeau des plus lourds…
La marchandise est souvent composée d’articles qui sont des imitations d’articles de luxe en vogue un peu partout dans le monde…C’est ainsi que Philippe Starck bat son plein à «Sidi Bou Mandil» et les articles reproduisant ses designs se vendent comme des petits pains : lampes, chaises… de la maroquinerie Vuitton aussi est à l’honneur… les articles de sport surtout… et j’en passe, pas besoin d’un dessin pour saisir la mentalité régnante et faisant le bonheur de tout ce commerce, une mentalité célébrant le paraitre, cultivant le leurre, adorant l’argent érigé en dieu suprême…
Tous les symptômes d’une société complètement désorientée… que de temps perdu!!!
A la rive nord de la méditerranée, des femmes se concentrent sur un nouveau dada : le DIY le «do it yourself», qui est un peu le bricolage au féminin quoique les hommes occidentaux commencent à s’y mettre aussi…
Le net pullule de vidéos pédagogiques dites «tutoriel» apprenant à qui veut comment créer une fleur à partir d’un vieux foulard, une étagère à partir d’une caisse en bois, une couverture à partir de chutes de tissus et même des meubles à partir de vulgaires palettes… Bref, comment créer TOUT à partir de RIEN … «TOUTE UNE MENTALITE» pour reprendre un slogan de plus en plus en vogue chez nous, certes appartenant au milieu du sport, mais il est vrai aussi qu’il est de plus en plus adopté par tous les milieux, un «phénomène de langage» digne d’intérêt… Je me dis que même s’il n’est pas trop pris au sérieux pour le moment et souvent tourné en dérision, il reste probablement un signe avant-coureur d’une prise de conscience, peut être, d’une recherche, d’un questionnement, d’une quête tâtonnant son chemin vers l’émergence d’une nouvelle mentalité, la «mentalité» étant le début de tout… affaire à suivre…
Les chaines télévisées occidentales s’intéressent de plus en plus au DIY, et un nombre grandissant d’émissions de DIY voit le jour sur les écrans: ateliers de «récup», cours de décoration d’intérieur, comment chiner …
A Paris ou à Londres, un nombre spectaculaire de boutiques se spécialise dans le DIY en vendant tout le matériel qui lui est nécessaire……
Cette dynamique en plein essor mène à tenir un nouveau discours aujourd’hui en occident : le précieux n’est pas le plus cher mais le «hand made», le «fait par soi-même», un discours fier, libéré de toute référence classique, célébrant la créativité, la «personnalisation», la « customisation» …. Des termes qui reviennent dans le langage des férus de DIY… de plus en plus les articles de luxe sont dans cette nouvelle «mentalité» signe de manque de créativité et d’imagination, d’un esprit d’arrivisme, de «nouveaux riches», le fameux «bling-bling» tant ridicule pour les jeunes occidentaux … Crise oblige, me diriez- vous, probablement vrai, mais justement une crise domptée au quotidien par une terrible capacité d’adaptation mentale, matérielle et même esthétique…
Quand au nouveaux concept du «luxe» chez cette génération de la crise, c’est se procurer les articles fruits du savoir faire artisanal des nations du Sud surtout, c’est ainsi que le klim ou le Margoum de Wedhref, les lampes en rotin de Ain-Draham, les poteries de Nabeul… décorent les maisons, les lofts, mais aussi les lieux publics les plus «branchés», «IN» comme disent les jeunes, c’est que « chez ces gens-là » on ne consomme pas bête, on n’imite personne, on «choisit », et le choix va toujours dans la direction du respect de l’originalité, c'est-à-dire, la célébration de la touche inégalable de l’Homme unique, celle là, n’a pas de prix… Inutile de faire remarquer que cela va aussi évidemment dans la direction du respect de l’environnement et d’un certain «alter mondialisme», anti- système ultralibéral, ce système qui se nourrit de consommation sans limite et qui est donc le vrai moteur de cette «fièvre acheteuse» dont sont souvent victimes les femmes en particulier…
Toute la petite marchandise présente sur les étalages dans nos rues est composée d’objets si faciles à réaliser soi-même, les petits vendeurs gagneraient tant à lancer leurs micro-entreprises artisanales, ils contribueraient ainsi non seulement à priver le réseau de contrebande de ses petites mains en entrant eux dans la «légalité», abandonnant enfin une vie faite de risques et d’angoisses, mais aussi à participer à instaurer une dynamique créative, constructive en créant de l’emploi à nos gardiens du patrimoine immatériel à savoir tous les artisans de la Tunisie profonde laissés pour compte depuis l’indépendance… Ils contribueraient ainsi même à donner un horizon des plus heureux à tous les diplômés tunisiens des écoles d’arts et métiers, qui excellent en matière de revisiter le patrimoine, le fameux «remake», leurs expériences malheureusement restent – pour le moment - prisonnières de leurs mémoires de fin d’études ou alors de l’expérience du village de l’artisanat de Denden qui est un échec total…
La société civile aussi pourrait réserver quelques efforts à des ateliers non plus seulement de réflexion, mais aussi de cours de travaux manuels pratiques lesquels pourraient être une occasion pour faire rencontrer tous ceux qui ont du savoir faire, artisans, artistes, férus de DIY, designers, diplômés dans les arts et justement les micro-entrepreneurs qui ne seraient autres que tout ce beau monde vivotant comme il peut dans les rues tunisiennes en vendant du n’importe quoi à n’importe qui n’importe comment, contribuant ainsi un tant soit peu au déluge collectif…
Ce changement de direction et revalorisation des petits métiers donnerait tant d’espoir que la mentalité s’en trouvera petit à petit changée…
Sinon - voyez-vous - de pareilles expériences modestes en apparence, nous mèneraient, peut être un jour et à long terme, à une prise de conscience qui nous apprendra par ailleurs à nous passer d’une autre «camelote», celle de l’esprit à savoir les idéologies, de faire attention à la date de consommation des produits de l’esprit aussi comme le régime arabe d’après le colonialisme et ses icones, cela révolutionnera avant tout notre rapport à l’argent et fera que nous prenions conscience enfin de la vraie «valeur» des choses ; mais surtout des gens…et d’abord, de nous-mêmes… N’est ce pas ?
Alors, DO IT YOURSELF !!!!!!!!!!!!!!!!!!