Le système judiciaire vit aujourd’hui l’une des pires périodes de son histoire depuis l’indépendance. Il nous ramène presque aux âges obscurs et au Moyen Âge, lorsque les procès se tenaient en l’absence de l’accusé, que l’identité des témoins à charge était dissimulée et utilisée pour condamner les opposants, et que les jugements étaient rendus selon les humeurs du roi ou de son entourage, en vertu du décret royal de 1776.
Ce système n’a changé qu’avec la Révolution française, grâce à la promulgation du Code pénal de 1810 et à sa réforme de 1848, qui ont jeté les bases de la justice moderne et garanti l’indépendance du pouvoir judiciaire. La présence de l’accusé est devenue un principe sacré, la publicité des procès une obligation, et les droits de la défense — en particulier le droit à la confrontation — un fondement intangible.
Or aujourd’hui, en violation flagrante de toutes les lois et des conventions internationales relatives à la justice et à l’indépendance du pouvoir judiciaire, ces principes et standards sont démantelés, par l’acharnement à nous juger à distance afin de dissimuler la vérité, en totale contradiction avec les textes qui fixent des conditions strictes à de telles procédures.
La situation s’est transformée en entreprise de maltraitance et de vengeance méthodique, visant à détruire tous les acquis en matière de droits humains, à saper profondément les libertés publiques et individuelles, et à imposer au pays un état de désertification politique et juridique dans tous les domaines.
Le but de ces pratiques ne se limite pas à briser notre volonté en tant que prisonniers d’opinion. Il s’agit d’un projet plus vaste : soumettre l’ensemble des forces sociales et civiles, et semer la peur et la terreur dans les rangs de leurs militantes et militants.
Cette situation grave, qui menace l’État et ses institutions, érode le sens même de la citoyenneté et de l’égalité, et met en péril la cohésion du peuple et l’avenir des générations futures, nous impose à toutes et à tous de ne pas céder. Nous devons la combattre par tous les moyens légaux et légitimes disponibles.
Il est urgent d’agir pour libérer la justice de l’emprise du pouvoir exécutif, et permettre aux avocats d’exercer leur rôle naturel dans la protection de l’État de droit et la garantie de la justice.
Quant à nous, prisonniers de ce système, afin que nos sacrifices ne soient pas vains, nous devons renforcer notre solidarité et notre unité.
À cette occasion, je renouvelle ma solidarité avec mon ami et compagnon de détention Jaouhar Ben Mbarek. J’informe l’opinion publique et toutes les personnes libres que j’ai entamé une grève de la faim solidaire depuis le 8 novembre, en signe de protestation contre l’injustice qui nous frappe, nous et l’ensemble des prisonniers politiques, quelles que soient leurs orientations.
J’annonce également que je boycotterai l’audience de jugement à distance, tout en maintenant mon droit d’être physiquement présent. Je demande à mes confrères avocats de renoncer à me représenter si le tribunal persiste à poursuivre la procédure à distance.
Vive la Tunisie libre, démocratique et indépendante pour toujours.
Prison de Siliana, le 14 novembre 2025