Gabès : Entre mémoire et renaissance

Je suis originaire de Gabès, une ville où la mer, la palmeraie et l’industrie se côtoient depuis un demi-siècle. En tant qu’ancien du Groupe Chimique Tunisien (GCT), j’ai vu de l’intérieur comment cette entreprise a transformé notre région — pour le meilleur comme pour le pire.

Le Groupe Chimique Tunisien (GCT), acteur historique et pilier du développement économique de la région de Gabès, depuis plus qu’un demi-siècle . Le groupe a été à l’origine de la création d’un tissu industriel dense regroupant de nombreuses entreprises chimiques (ICF, ALKIMIA, TIMAB, MFI…) et énergétiques (STEG, sociétés de mise en bouteille de gaz, etc.). Ce dynamisme économique, moteur de la région, s’est toutefois accompagné d’un lourd tribut environnemental. En effet cette industrie a généré d’importantes nuisances environnementales qui n’ont cessé de s’accumuler au fil des décennies.

Uɴᴇ ɪɴᴅᴜsᴛʀɪᴇ ᴠɪᴇɪʟʟɪssᴀɴᴛᴇ ᴇᴛ ᴘᴏʟʟᴜᴀɴᴛᴇ

Les installations du GCT, pour la plupart construites dans les années 1970, ne répondent plus aux normes environnementales actuelles. Le rejet massif de phosphogypse dans la mer, estimé à près de 4 millions de tonnes par an, a profondément altéré les écosystèmes marins du golfe de Gabès. Ce déversement contrevient également aux conventions internationales en matière de protection de l’environnement.

Face à cette situation, la société civile s’est mobilisée à plusieurs reprises, organisant sit-in et manifestations pour exiger des solutions durables.

Dᴇs ᴘʀᴏᴊᴇᴛs sᴀɴs ʟᴇɴᴅᴇᴍᴀɪɴ

Depuis la fin des années 1990, plusieurs scénarios ont été envisagés pour mettre fin au rejet du phosphogypse : transport hydraulique (1998), ferroviaire (2003), délocalisation des unités (2006 et 2017)… Chacun de ces projets, pourtant soutenu par des études complètes et des cahiers des charges détaillés, a été abandonné à la suite de changements de direction, d’un manque d’engagement politique ou encore du refus de certaines parties de la société civile. Résultat : aucune solution concrète n’a vu le jour.

Dᴇs ᴛᴇᴄʜɴᴏʟᴏɢɪᴇs ᴍᴏᴅᴇʀɴᴇs ᴘᴏᴜʀ ᴜɴᴇ ɪɴᴅᴜsᴛʀɪᴇ ᴘʟᴜs ᴘʀᴏᴘʀᴇ

Outre la pollution marine, la zone de Gabès a longtemps été confrontée à une pollution atmosphérique importante. Les technologies utilisées dans les années 1970, peu performantes en matière de dépollution, entraînaient des émissions élevées de gaz nocifs tels que le dioxyde de soufre (SO₂), l’ammoniac (NH₃) ou les oxydes d’azote (NOₓ).

Les technologies modernes permettent désormais de réduire considérablement les émissions polluantes et d’envisager une production propre.

Ces technologies permettent une réduction spectaculaire de ces émissions : les concentrations de SO₂ sont passées de 2000 ppm à 50 ppm, celles de NH₃ de 300 à 50 mg/m³ et celles de NOₓ de 350 à 50 mg/m³. De plus, la récupération du fluor, autrefois rejeté dans l’atmosphère, est désormais possible grâce à des systèmes de lavage et de filtration performants.

Ces avancées technologiques offrent la perspective d’une activité industrielle conforme aux normes nationales et internationales les plus exigeantes, tout en réduisant considérablement l’impact environnemental.

Lᴀ ᴅᴇ́ᴄɪsɪᴏɴ ɢᴏᴜᴠᴇʀɴᴇᴍᴇɴᴛᴀʟᴇ ᴅᴇ 2017 : ᴜɴ ᴛᴏᴜʀɴᴀɴᴛ ᴅᴇ́ᴄɪsɪғ

Sous la pression des mouvements sociaux et à la suite de plusieurs réunions de concertation, un Conseil ministériel restreint (CMR) tenu le 29 juin 2017 a acté une décision historique :

• arrêter définitivement le déversement de phosphogypse dans la mer,

• démanteler les unités sulfuriques et phosphoriques existantes,

• créer de nouvelles unités industrielles conformes aux normes environnementales sur un site plus approprié.

Le gouvernement a également annoncé la création d’une nouvelle zone industrielle dédiée à la valorisation et à la transformation du phosphogypse, dans le respect des normes nationales et internationales.

Uɴ ᴘʀᴏᴊᴇᴛ sᴛʀᴜᴄᴛᴜʀᴇ́ ᴇᴛ ᴘʀᴏɢʀᴇssɪғ

Le plan de mise en œuvre prévoit :

• 6 mois pour les études hydrogéologiques et sociales ( fin 2017),

• 2 ans pour les études techniques et environnementales,

• 6 ans pour la construction progressive de trois nouvelles chaînes de production et l’arrêt complet du rejet en mer.

Par ailleurs, une commission nationale de pilotage, créée au sein de la présidence du gouvernement veille au suivi du projet et au respect des délais.

Lᴇ ᴄʜᴏɪx ᴅᴇs ɴᴏᴜᴠᴇᴀᴜx sɪᴛᴇs

Une étude approfondie a permis d’identifier plusieurs sites potentiels répondant aux critères géologiques, hydrogéologiques et environnementaux nécessaires. Après analyse multicritère (topographie, infrastructures, acceptabilité sociale, coûts, etc.), deux sites situés dans la délégation de Menzel Lahbib — Zemla Bidha et Sefia — ont été retenus.

Lors d’une des visites sur site, les notables de la région ont d’ailleurs exprimé leur accord de principe, saluant une initiative susceptible de concilier développement industriel et protection de l’environnement.

Les conclusions de cette étude approfondie ont été transmises à la présidence du gouvernement en décembre 2017. Depuis aucune suite n’a été donnée.

Lᴀ sᴏᴄɪᴇ́ᴛᴇ́ ᴄɪᴠɪʟᴇ ʀᴇsᴛᴇ ᴇɴ ᴀʟᴇʀᴛᴇ

Les récents incidents de fuites de gaz survenus dans certaines unités de production ont ravivé la colère des habitants. Des mouvements de protestation et des sit-in ont été organisés par des associations environnementales et des collectifs citoyens, exigeant davantage de transparence, de contrôle et de réactivité de la part des autorités et des industriels.

Ces mobilisations rappellent que la population de Gabès reste profondément attachée à son environnement et refuse tout retour aux pratiques du passé. Pour beaucoup, la délocalisation et la modernisation des installations représentent l’unique voie possible vers une coexistence durable entre industrie et qualité de vie.

En tant qu’ancien acteur de cette histoire, je crois profondément que Gabès peut renaître. La réconciliation entre industrie et environnement n’est pas une utopie — c’est une nécessité vitale.

Mais pour cela, il faudra du courage, de la transparence et une véritable responsabilité sociétale des entreprises et des institutions.

La région porte en elle toutes les ressources — humaines, techniques, culturelles — pour réussir cette transformation.

À vous, nouveaux acteurs (industriels et société civile) de veiller à ce que cette renaissance ne soit pas un slogan, mais un engagement durable.

Uɴ ᴇsᴘᴏɪʀ ᴘᴏᴜʀ ʟᴀ ʀᴇ́ɢɪᴏɴ.

Ce projet ambitieux de démantèlement et de création d’une nouvelle zone industrielle ouvre une véritable ère de renouveau pour la région de Gabès. Il a pour objectif de bâtir un modèle où performance économique et respect de l’environnement avancent main dans la main.

En favorisant la création d’emplois, l’innovation et l’implantation d’entreprises responsables, ce projet pose les bases d’un pôle industriel moderne et durable. La prochaine étape consiste à mobiliser les partenaires et les financements nécessaires pour transformer cette vision

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