Le grand défilé militaire de la Chine n’était pas un couronnement

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Pékin cette semaine et le défilé militaire qui l’a accompagné ont déclenché une vague de commentaires dans le monde entier. De nombreux analystes, en particulier ceux qui critiquent l’Occident ou écrivent du Moyen-Orient, ont dépeint le défilé comme la preuve que la Chine est en passe de remplacer les États-Unis en tant que prochaine superpuissance. Dans cette lecture, le déclin de la primauté américaine donnera naissance à un siècle chinois.

Pourtant, cette interprétation est à la fois trompeuse et inutile. Le défilé n’a pas marqué le transfert de la domination unipolaire de Washington à Pékin. Il a plutôt souligné comment la Chine cherche à consolider sa position de pôle central dans un monde déjà multipolaire.

Pour comprendre pourquoi, il est utile de rappeler les catégories décrites par Amitav Acharya, professeur de relations internationales à l’American University, dans « The End of American World Order » – puissances régionales, grandes puissances et superpuissances. Après 1945, les États-Unis ont atteint le niveau d’une superpuissance non seulement en raison de leur vaste économie, mais aussi parce que la puissance économique était combinée à la puissance militaire, à la supériorité technologique, à la légitimité politique et à un système d’alliance dense. Le dollar était une monnaie mondiale convertible, avec une base à terme sur plusieurs continents et une architecture d’institutions qui ancrait sa primauté. L’essor de l’Amérique a été complet.

Le défilé militaire de la Chine cette semaine était une reconnaissance de cette réalité. Il ne s’agissait pas seulement d’un spectacle de missiles, de drones et d’armes de précision, mais aussi d’une déclaration selon laquelle Pékin comprend qu’une influence mondiale soutenue nécessite plus que le PIB. Il faut être capable de défendre les routes commerciales, de projeter sa puissance et de faire preuve de résilience face à la coercition. En d’autres termes, la Chine sait que la croissance économique doit être soutenue par des capacités militaires et politiques si elle veut se traduire par un statut à long terme. La parade était donc une performance de la détermination de la Chine à lier sa trajectoire économique à une puissance dure crédible. Mais la conclusion selon laquelle la Chine est donc la prochaine hégémonie est prématurée. La Chine n’a toujours pas de nombreuses caractéristiques systémiques qui sous-tendaient la primauté des États-Unis. Le renminbi – la monnaie chinoise – n’est pas encore entièrement convertible et ne peut pas ancrer le système financier mondial comme l’a fait le dollar. Pékin a des partenaires et des organisations comme l’OCS et les BRICS, mais il ne possède pas un système d’alliance comparable à l’OTAN ou au réseau de traités américains en Asie. Sa base à l’étranger est minimale. Sa capacité à projeter sa force à l’échelle mondiale est limitée par rapport à la domination navale et aérienne de Washington. Ce que le défilé a démontré, c’est le progrès et l’intention, pas l’arrivée de l’unipolarité.

C’est pourquoi il est plus exact de voir le moment actuel comme la consolidation de la multipolarité. Les États-Unis conservent des avantages clés : le leadership technologique, la densité des alliances et la profondeur institutionnelle de l’ordre libéral. Mais il ne jouit plus d’une primauté incontestée, comme l’ont clairement montré les guerres et les crises récentes. La Chine, la Russie, l’Inde et d’autres grands États ont chacun la capacité de façonner le système, mais aucun ne peut imposer de règles seul. Les pays du Sud, eux aussi, font preuve d’agentivité, diversifient leurs partenariats et résistent à l’idée d’être pliés dans une compétition binaire. Le monde ressemble moins à la domination d’un seul et plus à ce qu’Acharya appelle un « archipel de puissances ».

Le défilé de Pékin ne doit donc pas être interprété comme le lever de rideau d’un siècle chinois. Il doit être considéré comme faisant partie d’un processus plus large dans lequel la Chine s’efforce de consolider son rôle en tant que pôle unique dans un ordre pluriel. Cela est cohérent avec sa stratégie économique de construction de projets de connectivité par le biais de la Ceinture et la Route, sa diplomatie politique au sein de l’OCS et des BRICS, et sa modernisation militaire croissante. Pourtant, ce n’est pas la preuve de l’arrivée d’un unipôle. C’est la preuve que Pékin comprend que le statut au XXIe siècle provient de l’intégration de multiples dimensions du pouvoir.

Ce qui émerge de cette perspective est une leçon qui donne à réfléchir mais qui est aussi stabilisatrice : l’ère des superpuissances uniques est révolue. Les États-Unis ne sont pas en train de disparaître, mais ils ne sont plus sans égal. La Chine est en plein essor, mais elle ne jouira pas d’une domination hégémonique. Au lieu de cela, l’avenir proche sera façonné par plusieurs grandes puissances dont les interactions, les rivalités et la coopération limitée formeront la texture de la politique mondiale. Reconnaître cette réalité peut aider à prévenir les fausses attentes qui alimentent la confrontation. Le véritable défi est de construire des mécanismes de coexistence entre les pôles plutôt que de chercher un autre ordre unipolaire qui ne viendra jamais.

Le défilé de la Chine était un symbole d’ambition, de confiance et d’intention. Mais ce n’était pas un couronnement. C’était un rappel que la multipolarité est là pour rester, et que l’avenir ne sera pas décidé par une seule superpuissance, mais par la façon dont les grandes puissances parviennent à vivre ensemble dans un archipel de puissances.

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