Comment l’emprise d’un despote vieillissant sur le pouvoir pourrait défaire l’Afrique centrale

Il y a quelques semaines, le président camerounais Paul Biya, âgé de 92 ans, a annoncé son intention de briguer un huitième mandat lors des prochaines élections dans le pays. Cette annonce, choquante, bien que largement anticipée, alimente déjà la crainte que la stabilité du pays ne soit menacée, avec des implications plus larges pour la sécurité régionale.

Le dirigeant âgé, qui dirige le Cameroun d’une main de fer depuis 1982, est de loin le président le plus âgé du monde. En effet, seuls quelques Camerounais vivants se souviennent d’une époque sans Biya au pouvoir. Pourtant, de récents problèmes de santé semblent suggérer qu’il a peut-être atteint la limite de ses capacités naturelles. En 2008, son régime a mis en œuvre un amendement constitutionnel visant à annuler la limite de deux mandats, ouvrant ainsi la voie à Biya pour gouverner à vie par le biais d’élections qui, bien que régulières, n’ont été ni libres ni équitables.

Au cours de ses 43 années de règne, le pays de 29 millions d’habitants est passé d’une période de stabilité relative à une période de crise et de conflit. Environ quatre Camerounais sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté national, alors que le chômage, en particulier chez les jeunes sortant de l’école, est élevé. Et ce, malgré la richesse en ressources naturelles du Cameroun, notamment le pétrole et le gaz naturel, l’aluminium et l’or.

Depuis 2014, le Cameroun est également attaqué par Boko Haram dans l’extrême nord du pays, tandis qu’une insurrection sécessionniste ravage les régions anglophones du pays. Le Cameroun est divisé en régions francophones et anglophones, un développement enraciné dans le passé colonial du pays. Le conflit, qui en est à sa septième année, a été précipité fin 2016 par la mauvaise gestion par l’État des manifestations pacifiques qui ont éclaté contre l’application du système civil français par les tribunaux des régions anglophones. La crise a fait plus de 6 000 morts et le déplacement d’un million de personnes à l’intérieur du pays et vers le Nigeria voisin.

Dans le même ordre d’idées, le conflit de Boko Haram a fait de nombreux morts et entraîné le déplacement interne de plus de 300 000 personnes, sans parler de la perturbation des économies locales qui a conduit à une insécurité alimentaire généralisée.

Pour lutter contre la menace, Biya, qui est connu pour une approche étrangère non alignée qui lui a permis de jouer avec plusieurs grandes puissances, a récemment dû s’appuyer assez fortement sur le soutien des États-Unis pour le financement et la formation de la brigade d’intervention rapide (BIR) d’élite du pays, ainsi que des troupes de la Force multinationale mixte que Washington a établie avec les voisins du Cameroun. Nigéria et Tchad. La formation du personnel militaire camerounais par les États-Unis est évaluée à 600 000 dollars par an. Washington dispose également d’une base de drones d’environ 200 personnes stationnées à Garoua, une ville du nord-est du Cameroun, pour soutenir l’armée dans ses opérations contre l’extrémisme. Le Cameroun reste l’une des anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne qui autorisent des bases militaires étrangères sur son territoire.

Dans le même temps, le Cameroun pèse lourdement sur les visées expansionnistes du président russe Vladimir Poutine au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Le pays a récemment renouvelé un accord de coopération militaire avec Moscou tout en accueillant Afrique Média, une organisation de presse liée à la Russie généralement considérée comme le porte-parole de Poutine dans la région. Une telle attention de la part des grandes puissances illustre l’importance stratégique potentielle du Cameroun.

Entre-temps, l’intégrité de l’élection du 12 octobre est déjà en danger. Sur les 83 candidats qui ont présenté leur candidature à la présidence, l’organe électoral, Elections Cameroon, n’en a approuvé que 13, disqualifiant le principal challenger de Biya, Maurice Kamto, qui était arrivé en deuxième position aux élections de 2018 où il avait remporté 14,2 % des voix. Bien que les personnes disqualifiées de la course à la présidentielle puissent intenter une action en justice, de nombreux Camerounais ne croient pas qu’il en sortira quoi que ce soit.

Avec l’exclusion de Kamto, Biya et son parti, le Mouvement démocratique du peuple camerounais (RDPC), feront face à des candidats moins populaires, dont deux alliés du président, l’ancien Premier ministre Bello Bouba Maigari et Issa Tchiroma Bakary, qui a démissionné début juin de son poste de ministre de l’Emploi. Sans surprise, leur qualification a suscité des accusations selon lesquelles Biya et le RDPC orchestrent un autre simulacre d’élection pour conserver leur emprise sur le pouvoir.

La situation qui en a résulté a exacerbé les tensions politiques et alimenté les craintes de troubles. Le 12 juin, l’ambassade des États-Unis à Yaoundé, la capitale, a appelé au respect de la liberté de la presse et a exhorté toutes les parties concernées par le processus électoral à agir de manière à « promouvoir la paix, respecter l’État de droit et défendre les normes démocratiques ». Mais la situation reste incertaine car les forces de sécurité ont été déployées dans le centre économique de Douala et de Yaoundé, notamment autour du siège du conseil électoral en prévision de manifestations.

L’insistance de Biya à se présenter est, c’est le moins qu’on puisse dire, déconcertante. À une époque désormais lointaine, les dirigeants africains vieillissants, tels que le Sénégalais Léopold Sédar Senghor ou le Kenyan Daniel Arap Moi, ont planifié leur succession pour assurer une transition pacifique et préserver leur héritage. Le stratagème actuel de Biya suggère qu’il n’a pas de tels plans. Sa détermination apparente à continuer à gouverner jusqu’à ce qu’il ait presque 100 ans – les mandats présidentiels durent sept ans – pose des problèmes à de nombreux Camerounais.

En effet, dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de 25 ans, l’ambition de Biya pourrait s’avérer trop forte pour le public et pour les ambitions des autres membres de l’élite dirigeante alors qu’ils se disputent une position dans une période post-Biya. Pour un nombre croissant d’analystes, l’évolution de la situation, en particulier si les protestations publiques deviennent généralisées et militantes, pourrait créer un prétexte pour un coup d’État militaire. Historiquement, l’armée camerounaise a été loyale à Biya, qui n’a connu un coup d’État qu’une seule fois au début de son long règne. Réputé comme un maître-manipulateur des forces de sécurité, Biya a réussi à contenir l’ambition en maintenant les forces armées fragmentées et en procédant régulièrement à des remaniements.

Mais comme le montrent les événements survenus au Gabon il y a à peine deux ans, le spectre d’un coup d’État ne peut être totalement écarté dans une situation de stagnation politique. En août 2023, l’élite de la garde présidentielle gabonaise a organisé un coup d’État qui a mis fin au règne d’un demi-siècle de la dynastie Bongo. L’ironie, c’est que le coup d’État s’est produit quelques heures seulement après que le président de l’époque, Ali Bongo, eut tout mis en œuvre pour remporter un troisième mandat inconstitutionnel à l’issue d’une élection qui, selon tous les observateurs, locaux et étrangers, n’était ni libre ni équitable.

Avant que les choses n’en arrivent là au Cameroun, les organismes régionaux, notamment l’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), pourraient être en mesure d’exercer une influence sur le processus électoral à venir afin d’assurer une plus grande inclusion et une plus grande adhésion aux normes démocratiques fondamentales à l’approche des élections d’octobre. Le prochain scrutin n’est pas seulement l’affaire des Camerounais, mais aussi une question importante pour la région.

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