Comment je devins con... (17ème épisode)

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Avril 1984. J’étais en sixième année secondaire au lycée Alaoui. Toujours premier de la classe et toujours aussi paresseux et fugueur. Faire l’école buissonnière m’était d’autant plus facile que j’avais de bons fournisseurs en certificats médicaux vierges que je remplissais moi-même, grâce à mes connaissances en français.

Ces connaissances, j’avais fini par en faire une activité lucrative. Tous ceux qui étaient en possession d’un certificat vierge devaient s’adresser à un spécialiste pour les remplir. Et le seul spécialiste était moi. Pour cinq cents millimes pièce, je vous rédigeais un certificat d’arrêt des études en bonne et due forme, aussi insoupçonnable qu’un chérubin de cathédrale.

Soit que les surveillants nous faisaient trop confiance, soit qu’ils s’en foutaient complètement, je ne fus jamais pris sur le fait, même la fois où, à court de « marchandise », je ne trouvai sous la main qu’un formulaire d’ordonnance médicale d’hôpital que je rédigeai comme certificat et réussis à berner le surveillant qui délivrait les billets de rentrée en classe.

Une autre fois, c’était un certificat de pédiatre. A seize ans, c’était tout de même un peu gros de se faire passer pour un môme. Mais, sentant la perplexité du surveillant qui étudiait un peu trop attentivement mon certificat, je devançais ses objections en ajoutant, dégoulinant de candeur, que c’était le médecin de la famille et que nous étions habitués à lui depuis l’enfance. Ça marchait toujours.

Mais le coup le plus tordu, je l’avais joué à un camarade de classe que je n’aimais pas beaucoup. Il avait fait l’école buissonnière deux ou trois jours et n’avait réussi à se procurer qu’un rapport médical d’hospitalisation. Je n’en avais jamais rempli de pareil. D’abord, je refusai. Mais une patiente insistance doublée d’un billet de cinq dinars eurent raison de ma réticence, de mes scrupules et de mon antipathie pour lui. Les affaires sont les affaires.

Mais, comme les affaires ne font jamais oublier les griefs personnels, je me débrouillai pour laisser une anomalie dans l’espoir qu’il se fît prendre. Comme motif d’hospitalisation, je lui inscrivis une commotion cérébrale, persuadé qu’on allait inévitablement avoir des doutes en constatant qu’il reprenait l’école quelques jours à peine après un traumatisme aussi grave. Ils n’y ont vu que du feu ! Pourquoi a-t-il fallu qu’ils soient tous nuls en français ?!!

Quelques années plus tard, j’étais alors étudiant à l’université, je décidai un jour de faire une visite au lycée. Ce fut un moment d’émotion intense. J’avais avec les lieux un rapport quasi sensoriel. Autant les gens m’intimidaient, autant les lieux apaisaient mon âme de poète. Pas les lieux sans âme, faits de clinquant de mauvais goût des constructions modernes.

La voûte ostensiblement poreuse d’une vieille mosquée, le vieux portail stoïque d’une maison antique, l’air chargé d’histoire d’une Zaouia oubliée des hommes. J’échangeai des mots avec les murs décrépis, avec les lézardes dans le sol de la cour, avec les carreaux des fenêtres et les poignées des portes fermées. Puis avec le surveillant général, feu Abdelaziz. Il ne m’aimait pas beaucoup et je le lui rendais bien. Aussi crâneur que moi, je détestais surtout lorsqu’il me lançait à la cantonade :

-Tu vas arrêter de faire le pitre ? Avec des « r » grasseyés dignes d’un authentique parigot.

Faire le pitre, moi ! Si tu te voyais espèce de guignol !

Mais ce jour-là il ne fut nullement question de querelles fratricides. Il fut réellement content et amusé de me voir. Nous prîmes un café à la buvette chez ce bon oncle Allala comme on l’appelait, que Dieu ait pitié de son âme. Il me proposa ensuite d’aller à son bureau, ce que j’acceptai avec empressement vu que je ne m’étais jamais aventuré dans le saint des saints en dépit de mes innombrables bourdes.

Il ouvrit un gigantesque casier, y farfouilla quelques minutes puis en tira un dossier assez volumineux qu’il me tendit en souriant étrangement.

-Qu’est-ce que c’est ? Dis-je, intrigué.

-L’ensemble de tes chefs-d’œuvre me répondit-il avec le même sourire, juste un peu plus accentué.

-Mes vieux bulletins de notes ? Demandai-je malicieusement.

-Non, p’tit con, plutôt les faux certificats dont tu t’es servi pour berner ce cher monsieur Chedly. Ne crois pas que j’ai été dupe de tes embrouilles…

Monsieur Chedly, la crème des surveillants à l’époque. La cinquantaine débonnaire, sans malice. Jamais un mot plus haut que l’autre. Il savait tour à tour être conciliant, compréhensif ou t’envoyer paître calmement, sans la moindre animosité ni hystérie inutile.

J’allais protester, inventer une histoire tordue comme je savais le faire mais son regard amusé, sans la moindre méchanceté ni mauvaise intention m’en dissuada.

A quoi bon ! Il tenait à sa victoire et je n’avais pas le cœur de l’en priver.

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