La santé publique est la leçon de la pandémie

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Depuis Madrid, le leader vétéran d’Izquierda Unida Julio Anguita a tweeté : « Souvenez-vous de cela chaque fois qu’on vous dit que ‘les soins de santé dans le privé sont moins chers’ ». Le coronavirus met en évidence ce que nous savions déjà, que la santé privée est parasitaire de la santé publique. Les entreprises multimilliardaires dont le modèle commercial repose sur le fait d’aiguiller des patients graves vers le service public et de ne pas se sentir concernés lorsque se produit quelque chose comme ce qui arrive maintenant.

Une infirmière de l’hôpital central de Madrid - où l’équipe gouvernementale est en train d’être testée depuis que la Ministre de l’Egalité, Irene Montero, a été testée positive, et que son compagnon, Pablo Iglesias, a trinqué avec le roi -, a rapporté hier sur une chaîne de télévision, que la situation au sein des hôpitaux est chaotique. Tout manque. Des fournitures jusqu’au personnel. Manque de planification et de direction. Ils embauchent du personnel médical temporaire, mais il n’y a pas de lignes budgétaires pour embaucher plus de personnel de nettoyage dans ces hôpitaux en état de choc.

Depuis New-York, la chanteuse et compositrice Isabel de Sebastián a posté cette semaine : « Je suis dans le pays le plus puissant du monde économiquement, mais une grande partie de la population ne va pas chez le médecin car l’assurance maladie est très chère et on paye également une fortune avant que le système commence à payer quelque chose. Il n’y a pas de santé publique sauf pour les indigents et les retraités. Trump a coupé les vivres aux des organisations en charge de gérer ce type de catastrophes il y a plusieurs mois, elles sont sous-financées et font ce qu’elles peuvent. Pence est en charge de la crise, fut coupable de décès lors de l’épidémie de VIH pour avoir voté contre le financement du test. Le gouvernement dit qu’il existe des kits de test, mais les informations montrent que les médecins hospitaliers disent qu’ils ne les ont pas. Les médecins à domicile n’existent pas ici et depuis quelques jours, les hôpitaux vous demandent de ne pas venir si vous avez de la fièvre ou de la toux. »

Hier, le New York Times a réaffirmé le manque généralisé de kits de test de coronavirus aux États-Unis. La veille, le New Yorker avait publié en couverture une caricature de Trump avec son masque mais sur ses yeux. Maintenant, Trump devra se procurer un kit, car un émissaire de Bolsonaro qu’il a récemment rencontré ; s’est avéré être positif.

La dystopie nous poursuivait depuis un moment. En nous mordant les talons. Les médias ont leur mot à dire et donnent leur avis. Interviewés et intervieweurs donnent leur avis. Vous devez remplir le temps d’antenne et il y a des comptages de cas, des indications contradictoires (est-il obligatoire ou facultatif de se mettre en quarantaine après un voyage ? Le masque protège ou affaiblit-il ?), des alertes toutes les cinq minutes et des nouvelles du monde entier.

Le plus choquant vient d’Italie, où la santé publique a également souffert ces dernières années d’une de ces coupes budgétaires que le FMI aime tant. Elles étaient l’une de leurs preuves de « confiance ». Il n’y a pas assez de respirateurs, et les ambulanciers doivent choisir qui sauver, et ils choisissent les jeunes. La dystopie nous a déjà rattrapée.

En Italie, les mesures n’ont pas été prises à temps, il n’y a même pas l’ombre de la décision chinoise d’isoler une ville entière alors qu’il y avait cinq cents cas, sans perdre une journée car ils soupçonnaient- bien qu’ils ne connaissent toujours pas l’origine du virus-que c’était un phénomène de forte contagion. La Corée du Nord a également fermé dès le lendemain sa frontière avec la Chine. Elle n’a toujours pas signalé de cas.

Le manque de mesures massives et de réflexes rapides, que la Chine a montré, s’est fait attendre en Europe. Peut-être que cela leur est venu à l’esprit. Mais ils n’ont pas de quoi. La peste nous montre que les États forts et la santé publique ont de bonnes raisons d’exister au bénéfice de toute la population, car ce virus concerne deux types d’êtres plus vulnérables que les autres : les personnes âgées atteintes de maladies préexistantes, parfois simplement à cause de l’âge, et les voyageurs. Quel scénariste aurait-il pensé à cela ?

Probablement grâce à la décision forte d’un État comme le chinois, l’infection est devenue stagnante et a commencé à baisser rapidement, tandis que son transfert vers des pays d’États fragilisés par le néolibéralisme a trouvé des scénarios fertiles pour la propagation.

L’Occident a aussi ses médias, qui rendent difficile de discerner jusqu’où va la pandémie et jusqu’où vont la panique et la spéculation. De cette façon, nous observons comment le système, dont nous avons toujours dénoncé la dégradation à cause de son élitisme et sa cruauté, s’adapte parfaitement à la mort sous toutes ses formes.

Décès dus à la malnutrition, au manque de soins médicaux, à la dépression et désormais en raison de leur fragilité financière lorsque l’État doit agir, incapable de gestes drastiques après des décennies de coupes budgétaires. Il y a trois mois, dans ce pays, il n’y avait pas de ministère de la Santé. Il ne faut pas l’oublier une minute quand la zizanie commence.

Cette catastrophe montre à nouveau le mauvais cœur capitaliste sous son pire jour. Le gel antibactérien qui n’est plus disponible dans les pharmacies devrait être distribué dans la rue. Il n’y a pas d’approvisionnements alimentaires coordonnés pour les populations mises en quarantaine, pas de distribution d’eau propre ou de masques et, ni comme aux États-Unis des kits de test disponibles pour toute personne présentant des symptômes.

Une situation plus déchirante est-elle concevable que celle d’un pays dont les hôpitaux, au lieu de recevoir les malades, leur demandent de ne pas y aller, sachant que ce sont des gens qui n’auront aucun type de soins médicaux ? C’est ce qu’on appelle l’abandon de la personne, et cela est fait par des États qui n’ont jamais reconnu la valeur universelle du secteur public et qui se consacrent à alimenter la santé prépayée depuis des décennies.

Encore une fois, ce chaos qui nous maintient dans un état d’exception permanent - cet état qui selon Giorgio Agamben est celui recherché par les États autoritaires des nouvelles droites - confirme que les États-nations, lorsqu’ils ont été créés, ont apporté la paix après des siècles de guerres ininterrompues, car pour la première fois la dîme, qui était auparavant versée au comte, au duc ou au roi , a été convertie en impôts pour voir naître la santé et l’éducation publiques peu de temps après.

Le néolibéralisme essaie de nier cette vérité depuis un demi-siècle, ce qui se traduit aujourd’hui en maladresses et absence de protection. Pendant un demi-siècle, nous avons rejeté le démantèlement de ce qui arrive, comme maintenant, c’est la seule chose qui puisse nous donner une certaine sécurité.

Les pays qui ont cessé de financer leurs systèmes de santé, humilié leurs médecins, méprisé les infirmières, expulsant leurs scientifiques pour qu’ils travaillent dans le privé, sont aujourd’hui les plus vulnérables du monde. Peut-être que cette pandémie, dont les conséquences sont encore imprévisibles, engendrera des pertes économiques si importantes qu’elle amènera à réfléchir. Peut-être pas d’un point de vue humanitaire et solidaire, mais à travers la seule chose qu’ils comprennent, c’est combien ils gagnent.

Lorsque cela disparaîtra, l’État devra être repensé sans les mythes néolibéraux tordus qui ont engraissé leurs discours des milliers de fois. Pour paraphraser le prêtre du 19e siècle Henri De la Cordière, qui a dit qu ’ « entre les forts et les faibles, la loi est celle qui protège et la liberté est celle qui opprime », on pourrait dire aujourd’hui qu’entre les sains et les malades, l’État c’est celui qui protège et la médecine privée est celle qui néglige. Cette tragédie mondiale doit nous laisser au moins une leçon : la re-signification du service public.

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