Alger- Madrid: un exemple d’auto-intoxication politico-médiatique à étudier

Mohamed Salhi
Pedro Sanchez – accompagné de son ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares-, est allé au Maroc et a rencontré Mohamed VI. Comme c’est devenu une coutume chez Pedro Sanchez, il a laissé au palais marocain le soin de communiquer sur le contenu de la rencontre. Les rédacteurs du palais n’ont pas été économe de superlatifs sur les “perspectives uniques” de coopération entre le Maroc et l’Espagne avec la coupe du monde organisée en commun – avec le Portugal- comme cerise sur le gâteau… .

Les journaux algériens ont continué, même après l’annulation in-extremis de la visite du ministre espagnol des affaires étrangères à Alger, à écrire “textuellement” qu’Albares est un “pro-marocain” et qu’il n’exprime pas réellement le point de vue de Pedro Sanchez sur la question du Sahara Occidental.

Cette presse a été, il est vrai confortée dans cette lecture par Ahmed Attaf, notre ministre des affaires étrangère, qui a qualifié, lors d’un passage par la chaîne Al-Jazeera, la déclaration faite à ce sujet par Pedro Sanchez à l’assemblée générale des nations-unies de retour à la position traditionnelle de l’Espagne.

Un introuvable “regreso”

Pour ceux qui prennent la peine de s’informer directement dans les médias espagnols, ce “regreso” (retour) à l’ancienne position espagnole était introuvable. Les propos, langue de bois diplomatique, de Sanchez à l’ONU n’ont presque pas été remarqués. Les responsables espagnols ont dû cependant remarquer qu’à Alger on faisait grand cas de ces propos de Sanchez. Comme ils n’ignorent pas qu’ils n’ont pas changé de position, la lecture qu’ils en ont faite est simple : Alger, après de longs mois de bouderies et de mesures de rétorsion économique (qui ont surtout impacté la région de Valence et notamment l’industrie de la céramique et un peu les exportations de viande et, sans doute, beaucoup d’opérateurs algériens qui sont restés silencieux) est prête à reprendre langue.

Les diplomates espagnols ont donc laissé – sans faire de mise au point – les médias algériens écrire à satiété, jusqu’à finir par y croire, que Sanchez est revenu sur son alignement sur les positions du Maroc sur le Sahara occidental. On peut même imaginer, sans grand risque d’erreur, Sanchez et Albares donner des instructions à leurs diplomates pour entretenir le faux flou le plus longtemps possible. On ne sait pas si c’est le cas, mais les étudiants en sciences politiques – ou en journalisme – peuvent trouver une matière très intéressante pour un sujet de thèse dans la lecture des médias algériens de ces derniers mois : on y trouve un exemple incroyable d’auto-intoxication politique. On est là, en effet, dans une des tristes conséquences d’une presse revenue à une version dégradée de l’ère du parti unique où on avait, au moins, Algérie Actualité et Révolution Africaine qui, allusivement, donnaient quelques avis contradictoires.

Sans antidote

Après un an et demi d’absence, l’Algérie a envoyé un nouvel ambassadeur à Madrid, comme prélude à la normalisation sur la base de cette “interprétation” positive du discours de Sanchez. On peut supposer désormais que l’annulation de la visite d’Albares – la cause avancée, non confirmée, serait un refus du président Abdelmadjid Tebboune de le recevoir – a été le signal du « réveil », de la fin de l’illusion auto-entretenue autour d’un “regreso” de l’Espagne.

Bien entendu, si les médias algériens étaient libres, si les débats politiques étaient permis, on aurait eu probablement des sons de cloches différents qui auraient servi d’antidote à cette auto-intoxication autour des déclarations de Sanchez. Ce n’est malheureusement pas le cas. La presse algérienne (il faut reconnaître qu’elle avait, avec certains médias dont Radio M, meilleure allure sous Bouteflika) n’informe plus, elle n’analyse plus, elle ne fait que reproduire, souvent grossièrement, les vues et les désirs du pouvoir.

Souvent, c’est un choix de facilité, on se contente de suivre les autres sans se soucier des faits, les fameux “facts” qui précèdent le commentaire et qui doivent le rendre vraisemblable. Occulter les faits pour les médias, on ne peut trouver meilleur moyen de s’aveugler !

Revenons donc au communiqué du palais marocain : on y apprend que le président du gouvernement espagnol “a réitéré” au roi “la position de l’Espagne, contenue dans la déclaration conjointe d’avril 2022, considérant l’initiative marocaine d’autonomie comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution de ce différend” et que le Roi “a remercié l’Espagne pour cette nouvelle position constructive et importante.”

Pour sceller l’alliance entre Madrid et Rabat, Sanchez, indique le communiqué royal “a salué” l’Initiative marocaine “pour favoriser l’accès des pays du Sahel à l’Océan Atlantique, ainsi que le Gazoduc Africain-Atlantique Nigéria-Maroc.”

On peut être raisonnablement sceptique sur la faisabilité de ces derniers projets, mais sur le Sahara occidental, la confirmation du virage de Sanchez n’est en aucun cas une surprise.

Sanchez a définitivement fait son choix

Pedro Sanchez considère que les intérêts espagnols au Maroc sont vitaux, au point d’assumer le risque d’une dégradation des relations avec l’Algérie. Il a donc fait un choix stratégique en tournant le dos à la position formelle “d’équidistance” entre Rabat et Alger. Certes, ce “virage” au détriment des Sahraouis a suscité au début des contestations en Espagne – certains diront des “états d’âmes”- notamment dans les courants plus à gauche que le PSOE (Podemos, Sumar… ) Mais ces courants qui font partie du gouvernement se sont contentés de faire des discours de principe de soutien à l’autodétermination des Sahraouis sans pour autant envisager, à aucun moment, de quitter l’exécutif.

C’est la vertu de la démocratie, les états d’âmes peuvent s’exprimer dans le cadre de la liberté d’expression mais le pragmatisme politique l’emporte souvent. Le dirigeant du Parti Popular (droite), Alberto Núñez Feijóo, le grand adversaire du gouvernement Sanchez, en a fait un sujet de polémique en reprochant à Sanchez d’avoir fait un “giro” (virage) majeur sans prendre la peine de consulter le parlement. Sa critique porte sur la forme mais Feijóo n’a, à aucun moment, indiqué qu’il reviendrait sur ce virage. Sur la scène politique espagnole où les débats sont très vifs notamment sur le projet d’amnistie pour les dirigeants catalans, le sujet Sahara n’est pratiquement plus évoqué par les partis politiques espagnols. Il est clair qu’un éventuel retour de la droite espagnole au pouvoir n’entraînera pas une remise en cause de l’alignement sur les positions du Maroc.

Cela est fort regrettable, bien entendu, mais plutôt que de s’illusionner, il vaut mieux en prendre acte et se poser les bonnes questions. Par exemple, comment la diplomatie algérienne n’a pas vu venir ce retournement de Madrid, lequel pèse d’ailleurs lourdement sur Paris de plus en plus pressée de s’aligner ?

Beaucoup de questions qu’il serait utile et salutaire d’aborder… mais pour cela, il faudrait que le débat libre, sans langue de bois, sans autocongratulation, soit permis…

Mohamed Salhi

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