La plainte au nom de la famille de Salah Ben Youssef

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Il est certain que la plainte pour assassinat de Ben Youssef devant la justice contre Bourguiba n’aura pas eu le moindre résultat quant à la personne ou aux descendants de l’ex-président. Tout au plus sera-t-elle une des pièces du dossier que l’Histoire ouvrira un jour, mais une pièce de peu de poids devant les aveux de l’intéressé.

Mais cette plainte est fondamentale pour les représentants de la victime, et plus encore pour les principes démocratiques dans le pays : un homme d’autorité, quel qu’il soit, ne peut décider qu’on tue ou qu’on inflige tel ou tel châtiment à un ennemi politique ; ce principe, inscrit dans tous nos textes, doit être respecté, a fortiori par ceux dont la fonction est de faire respecter les lois par tous.

L’un des aspects les plus insupportables de l’affaire est que, pour assouvir ses désirs de vengeance, et, je ne l’exclue pas, de protection personnelle, Bourguiba ait décidé que l’assassinat se produise hors du pays : censé être le défenseur des lois et relations internationales, il a décidé que les lois et accords internationaux pouvaient être violés impunément.

L’exécution ne s’est même pas faite, comme dans le cas du journaliste saoudien récemment, dans des locaux d’ambassade, soit en principe en dehors du territoire du pays hôte, mais dans un hôtel d’un pays souverain, l’Allemagne en l’occurrence. Ceci relève incontestablement des tribunaux des deux pays, et le dire est une bonne chose.

On nous dit que, parce qu’il serait le « père de la nation », Bourguiba ne devrait pas être jugé par ses enfants. Cela signifie, en clair, que toutes ses décisions illégales, tous ses dénis de justice, s’ils n’ont pas touché les gens qui protestent ou les leurs, ne seraient pas importants.

Permettez que des victimes de son arbitraire, j’en suis, ayant notamment passé en prison de nombreuses années sur une décision illégale du président entre 1974 et 1979, réclament que la justice et la dignité leur soient rendues : s’opposer à cela, c’est s’opposer à un aspect vital de l’Etat de droit, c’est donc se solidariser de toutes les manifestations d’arbitraire passées, mais c’est aussi cautionner celles à venir.

Bourguiba est justiciable, tout comme moi. Les juges ont décidé que le fait qu’il soit mort leur enlève la capacité de le juger, ils en ont le droit : encore fallait-il, pour qu’ils se prononcent, qu’une plainte soit déposée.

C’est fait, et la société ne peut plus ignorer que des victimes de la gestion dictatoriale de la société attendent encore qu’on leur reconnaisse cette identité. Que ceux qui demandent que le procès de Bourguiba soit transmis à la juridiction de l’Histoire se méfient : ils pourraient également y être jugés comme complices…

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