Le prisme et l’horizon/ Le réalisme économique de Téhéran

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Après l’incident de l’avion militaire abattu le 24 novembre dernier à la frontière turco-syrienne, et qui a assombri les relations entre la Turquie et la Russie, voilà donc que le gouvernement d’Ankara laisse les choses s’envenimer aussi avec le voisin irakien. Lui qui se montre si sourcilleux sur la question du respect des frontières, comment en vient-il à permettre que son armée prenne position à l’intérieur du territoire de l’Irak ? Face aux protestations de Bagdad, qui menace de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU, la Turquie ne semble d’ailleurs pas se démonter. A ce jour, aucun retrait n’est enregistré.

La seule offensive que subit actuellement la Turquie est médiatique. Elle prend la forme d’une accusation, largement relayée sur la toile, selon laquelle elle financerait secrètement l’Etat islamique en achetant son pétrole. Bien sûr, si cette hypothèse se vérifiait, il resterait à se demander pourquoi les «preuves» qu’on prétend détenir de son implication dans ce commerce ne sortent au grand jour que maintenant… Qu’en a-t-on fait jusqu’ici? Les a-t-on cachées ?

Pourquoi, de façon bien coupable, a-t-on gardé le silence pendant de longs mois au sujet de ce trafic très répréhensible ? D’autre part, s’il s’agit réellement de preuves, et que celles-ci sont contestées par les autorités turques, il y a moyen de les soumettre à la confrontation des expertises. De cette manière, on pourrait instruire contre elle une procédure qui pourrait alors avoir des suites concrètes sur le plan judiciaire… Mais est-ce bien cela que l’on veut ?

En fait, il n’est pas tout à fait exact de dire que la seule offensive subie par Ankara soit médiatique : cette offensive est aussi économique. Même si elles sont limitées aux produits agricoles, les mesures de restriction économique prises par Moscou vont avoir des répercussions réelles sur la physionomie des échanges. Elles pourraient d’ailleurs entraîner de la part de la Turquie elle-même une révision de sa stratégie commerciale au vu de l’évolution de la situation régionale.

Ce qui ne manque pas de surprendre de ce point de vue, c’est que l’Iran se montre beaucoup moins agressif face à la Turquie, alors que tout sépare ces deux pays dans le jeu des alliances. On observe en tout cas une sorte de position équivoque qui consiste à laisser les accusations contre la Turquie circuler dans les médias locaux, voire à les favoriser, alors que sur le plan officiel on observe une retenue.

Le gouvernement iranien a même adopté une attitude de médiation en vue d’apaiser la tension entre la Turquie et la Russie. C’est ce dont témoigne la récente déclaration à la presse de Ali Akbar Velayati, conseiller pour les affaires internationales du numéro un iranien, l’ayatollah Ali Khamenei : «Nous avons le devoir de réduire les tensions entre ces deux pays pour éviter de nouvelles tensions dans la région» !

Il faut rappeler que, depuis l’accord de Vienne signé le 14 juillet dernier, l’Iran a un calendrier chargé en matière de préparation de son économie à l’échéance de son ouverture. La levée des sanctions qui ont pesé sur lui ces dernières années est certes une opportunité pour les acteurs économiques, elle est aussi un rendez-vous délicat pour le gouvernement iranien qui ne pourra plus invoquer les sanctions pour justifier les contre-performances de son économie.

Or cette transition va intervenir dans un contexte peu favorable de prix du pétrole au plus bas et d’une économie largement inadaptée aux exigences du marché international. Quand on sait que l’Iran dépend à 75% des hydrocarbures pour ses exportations, la question est la suivante : peut-il se permettre de se brouiller avec un voisin qui, sur le plan de la performance économique et des opportunités d’échanges, reste des plus importants malgré un certain passage à vide en ce moment…et reste aussi une véritable fenêtre sur le monde dans un environnement immédiat largement dévasté par les conflits armés ?

Le réalisme politique a aussi ses raisons dans ce conflit aux multiples facettes qui agite la région. Et ce réalisme peut aller jusqu’à voir dans les mesures de rétorsion économique de la Russie contre la Turquie une…aubaine pour l’avenir de ses échanges commerciaux et économiques. A condition bien sûr qu’on en reste là, que les tensions ne prennent pas une dimension nouvelle… Ce dont les officiels iraniens ont justement le souci.

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