La terre soudanaise ploie sous un hiver sans saison, et ce qui s’y déroule n’est pas simplement une guerre entre généraux mais une lente démolition de la condition humaine.
Les racines de cette conflagration plongent dans l’effondrement d’un projet national; le putsch de 2021 a fissuré l’armature politique, la rivalité entre l’armée régulière et les Forces de soutien rapide (FSR) a transformé des différends institutionnels en une compétition mortifère, et des fractures sociétales fondées sur l’ethnicité, ont servi de poudre à canon. Ce qui aurait pu rester une querelle de palais s’est mué en un théâtre d’atrocités, où la logique du pouvoir s’imbrique avec celle du pillage et de l’anéantissement.
La violence qui s’abat sur les civils dépasse les affrontements militaires: exécutions sommaires, attaques contre les hôpitaux et les abris, déplacements massifs et scènes de désolation qui confinent à la barbarie moderne. Les chiffres, les vidéos, les images venues des camps et les témoignages éraflés par la peur dressent le portrait d’un effondrement humanitaire.
On n’assiste plus à des combats purement tactiques; on assiste à la transformation du territoire en champ d’extermination partielle, où certaines communautés semblent visées pour ce qu’elles sont plutôt que pour ce qu’elles font. Appeler cela par son nom; crime de guerre, possible crime contre l’humanité, et parfois même génocide, n’est pas une manœuvre rhétorique mais l’obligation éthique de décrire la réalité afin de la conjurer.
Aucune scène de conflit n’est totalement hermétique aux influences extérieures, et le Soudan en est la démonstration crue: flux d’armes, financements et soutiens logistiques ont modifié l’intensité du conflit. Des États tiers, par intérêt stratégique ou par calcul mercantile, ont injecté capacités et technologies qui ont rendu les attaques plus meurtrières et les consolidations de pouvoir plus durables.
L’ingérence étrangère déplace la responsabilité; elle n’exonère pas les bourreaux locaux, elle prolonge leur bras et leur audace. Débusquer ces complicités n’est pas un exercice d’orientation géopolitique abstraite mais le préalable indispensable à toute politique de pression susceptible d’enrayer la machine à massacrer.
Face à l’horreur, la communauté internationale affiche une impuissance qui tient à des rivalités, à des calculs d’intérêts contradictoires et à une fatigue diplomatique. Les appels humanitaires, les résolutions timides et les promesses de sanctions tardives peinent à contenir ce qui se déroule sur le terrain. Mais l’inaction a toujours un prix; elle légitime à bas bruit la normalisation des crimes et transforme la compassion en spectacle impuissant. Ce décalage entre la rhétorique des droits et la pratique des intérêts est un crime supplémentaire contre le Soudan.
Et parmi les images qui font le tour du monde, cette photo d’une mère serre son enfant assassiné, circule comme une plaie ouverte sur les consciences. Cette photo parle par son évidence: l’inhumanité.
Qu’elle soit authentique ou qu’elle ait été altérée à l’ère des manipulations visuelles, son effet moral demeure. Non pas parce qu’elle instrumentalise la douleur, mais parce qu’elle rappelle l’impératif humain de nommer et de secourir ceux qui sont exposés à l’extermination.
Pour beaucoup, elle évoque des résonances plus larges, des échos d’autres tragédies et d’autres enfants arrachés à la vie. La mémoire collective mêle les visages, et la mère qui enlace son enfant devient l’emblème universel de la catastrophe soudanaise. Or nous y reconnaissons la même douleur que celle provoquée par l’assassinat de Mohamed Dorra dans les bras de son père, il y a 25 ans. Et la comparaison, qu’on l’approuve ou qu’on la récuse, est le symptôme d’un monde où les vies civiles sont devenues monnaie d’échange politique.
Il est vain de séparer l’émotion de la stratégie; l’une alimente l’urgence que l’autre doit traduire en actes. Ce que demande la situation soudanaise n’est ni une rhétorique supplémentaire ni une compassion larmoyante mais des mesures concrètes: identification et embargo sur les flux d’armement, enquêtes internationales indépendantes pour documenter les crimes et assigner les responsabilités, corridors humanitaires réellement protégés et une diplomatie qui ne sacrifie pas les vies au nom d’intérêts géopolitiques circonstanciels.
Mais au fond, le scandale est simple; nous sommes collectivement complices du silence. Le Soudan n’est pas une abstraction; c’est une chaîne de vies interrompues, de familles dispersées et d’enfants qu’on arrache au futur. Écrire l’histoire, nommer les responsables et agir sont des impératifs moraux inséparables.
Tout comme Gaza, le Soudan est aussi notre cause. Les acteurs changent selon les lieux, mais la nature des violences conserve la même brutalité. Des éléments indiquent par ailleurs l’implication d’un État précis dans les crimes commis au Soudan via des financements et des livraisons d’armes et d’équipements; un État plus sioniste que les sionistes dont l’histoire n’a commencé qu’avec son soutien au terrorisme et au chaos dans le monde arabe.