La demande de pardon n'a en soi rien d'illégitime ni de saugrenu

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La demande de pardon n'a en soi rien d'illégitime ni de saugrenu. Ce sont les manœuvres entre parlementaires qui la rendent suspecte. Car il est évident que son but est de faire ressortir les compromissions du "Destour" avec la puissance coloniale au-delà de mars 1956 et de raviver contre le nationalisme incarné par Bourguiba l'accusation selon laquelle ce dernier aurait sur les mains le sang de militants qui ont lutté pour la souveraineté du pays et dont la mémoire continue d'être occultée.

Ce qui, bien entendu, est censé remettre à leur juste place les prétentions de ceux qui se réclament ostensiblement de Bourguiba à symboliser la défense du pays et à se poser comme les gardiens contre toute "trahison".

La question du pardon est d'autant moins saugrenue que la France elle-même l'envisage, consciente que la politique d'occupation et d'exploitation de notre pays dans le passé représente la cause durable d'un conflit plus ou moins latent.

Le point est plus particulièrement évoqué en ce qui concerne l'Algérie, où le poids des souffrances est autrement plus important. Mais il est clair qu'au-delà de cet exemple, ce sont tous les pays qui, à un titre ou à un autre, ont fait partie de son empire colonial et ont subi sa domination et ses exactions qui sont concernés. La Tunisie y compris.

Et c'est même une logique de l'intérêt bien compris qui pousse la France à agir de la sorte : à terme, elle sait qu'elle a beaucoup à perdre à maintenir ouvertes d'anciennes blessures avec tant de pays qui ont désormais la possibilité de se tourner pour leur développement vers des pays autres qu'elle, des pays auxquels n'est attachée aucune mémoire douloureuse... La Chine n'est qu'un exemple.

Ceux qui s'indignent contre l'idée de demande de pardon, la trouvant inopportune, devraient quand même faire attention de ne pas apparaître comme plus royalistes que le roi en termes de renoncement à faire reconnaître des injustices passées et, aussi, d'empressement à passer l'éponge au bénéfice de l'ancien bourreau. D'autant que pareille attitude ferait très bien l'affaire des tenants de la demande : elle conforte leur opinion qu'il existe chez nous, au sein même d'un courant qui se présente comme "patriote", ce qu’ils appellent volontiers un "parti de la France".

Bref, la question n'est peut-être pas tant de savoir pourquoi un parti modeste au Parlement s'est fait l'écho de pareille demande adressée à la France que de savoir pourquoi cette demande n'est pas davantage partagée par tous les autres. Étant entendu que le pardon est en effet quelque chose qui permet de tourner une page, de libérer l'ancien bourreau de sa faute et d'envisager avec lui, pour l'avenir, une relation plus sereine et moins chargée de tous ces reproches dont le caractère pernicieux se mesure au fait qu'ils sont tus.

C'est d'autant plus utile et salutaire que le passage de la France en Tunisie a laissé des traces qui font désormais partie de l'héritage commun--dont la langue française à travers laquelle je m'adresse à vous--, mais dont la pleine appropriation suppose qu'elles ne demeurent pas attachées à l'expérience d'une injustice à laquelle on oppose le silence d'un déni têtu.

La question du pardon est une question aux vastes enjeux. Il ne fait pas de doute que son évocation comporte ici une dimension politicienne qui en réduit la portée. Mais les réactions qu'elle provoque tombent elles-mêmes dans le piège de l'indigence : celle de l'amnésie comme choix politique.

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