Pourquoi davantage d’éducation ne produit-elle pas systématiquement davantage de croissance ?

Un paradoxe traverse l’économie du développement contemporain. Dans plusieurs cas, l’investissement dans l’éducation (mesuré au moins par la part des hauts diplômés) a augmenté de manière soutenue au cours des dernières décennies, sans que cette accumulation de capital humain formel ne semble se traduire par une accélération équivalente du développement économique et social. Ce décalage, déjà mis en évidence empiriquement par les spécialistes, constitue un puzzle central. Pourquoi davantage d’éducation ne produit-elle pas systématiquement davantage de croissance ?

Outre la fuite du capital humain et le problème d’employabilité, une première réponse consiste à déplacer l’analyse du volume de l’investissement vers son rendement effectif. Le capital humain n’est productif que s’il est effectivement mobilisé dans l’activité économique et sociale. Or, dans de nombreux contextes, l’éducation produit des diplômes et des compétences formelles, sans garantir leur conversion en capacités opérationnelles de compréhension et de transformation du réel.

À l’échelle individuelle, cette inefficacité se manifeste par une dissociation entre la formation scientifique et les comportements quotidiens. Eh oui. La formation académique transmet non seulement des connaissances, mais aussi des normes de rigueur, d’honnêteté intellectuelle, du sens de la preuve, de responsabilité analytique. Lorsque ces principes restent confinés à l’espace universitaire et ne se reflètent ni dans les pratiques professionnelles ni dans l’analyse des réalités économiques et sociales vécues, l’investissement dans le capital humain demeure partiellement stérile.

C’est que les ressources éducatives n’ont pas été converties en capabilités effectives. Cette inefficacité du capital humain devient particulièrement visible dans la sphère publique, où il n’est pas rare d’observer des interventions d’universitaires hautement diplômés, économistes, juristes, ingénieurs ou experts sectoriels, dont les prises de position publiques demeurent étonnamment plates, descriptives ou intuitives, ne se distinguant guère de celles d’un non-spécialiste informé. C’est que le savoir cumulé n’a transformé que les ‘’savoirs des individus’’ et non leur manière de voir la réalité ainsi que leur vécu. C’est du gâchis !

Cette rupture ayant des conséquences agrégées profondes, limite ainsi la diffusion des connaissances vers le tissu productif, affaiblit la qualité des décisions publiques et réduit les externalités positives associées à l’éducation, notamment en termes de qualité institutionnelle et de confiance sociale. Le capital humain existe alors comme stock, mais ne génère pas de flux de valeur.

Dans cette perspective, le scientifique ne peut être réduit à un producteur d’abstractions ou à un simple détenteur de techniques formelles. Il porte une responsabilité normative d’être le témoin oculaire de son temps présent. Cela implique d’observer les dysfonctionnements concrets de la société, d’en proposer des lectures rigoureuses et d’engager ses outils analytiques au service de leur compréhension.

Sans ce lien vivant entre savoir et réalité, l’éducation cesse d’être un levier de transformation et devient une promesse différée, incapable d’initier le saut vers une trajectoire de développement plus élevée.

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