La politique étrangère américaine contestée : Trump peut-il conclure un accord avec la Chine (mais pas avec la Russie ou l’Iran) ?

L’ancien monde confortable ne reviendra pas. Les jeunes – s’ils se distinguent en quoi que ce soit – sont bien plus radicaux.

La politique étrangère américaine, imprégnée de l’hubris selon laquelle les États-Unis ont gagné la guerre froide militairement (en Afghanistan), économiquement (par les marchés libéraux), et culturellement (Hollywood), mérite donc, comme le dit Trump, le « plaisir » de « diriger à la fois le pays et le monde ». Cette politique est aujourd’hui remise en question pour la première fois.

Ce mois-ci, la RAND Corporation – institution influente dans les cercles de la politique étrangère américaine – a remis en cause cette arrogance, notamment vis-à-vis de la Chine. Bien que le rapport se concentre sur la montée en puissance de la Chine, il remet en question le dogme selon lequel aucun rival à l’hégémonie américaine, qu’il soit financier ou militaire, ne peut être toléré.

La conclusion clé de RAND : la Chine et les États-Unis devraient chercher à établir un modus vivendi, en acceptant mutuellement leur légitimité politique et en limitant leurs efforts pour se nuire, du moins dans une certaine mesure. Cette reconnaissance mutuelle serait une petite révolution. Et si cela s’applique à la Chine, pourquoi pas à la Russie ou à l’Iran ?

RAND recommande aussi que les États-Unis renoncent à toute idée de victoire absolue sur la Chine, et cessent de provoquer Pékin par des visites militaires à Taïwan. Cela survient à la veille de la rencontre prévue entre Trump et Xi Jinping à Kuala Lumpur, où Trump espère conclure un accord commercial qui renforcerait sa position et lui permettrait de restructurer le paysage financier américain.

Mais ce pivot proposé par RAND peut-il être accepté à Washington ? RAND a du poids, certes, mais cela reflète-t-il une fracture au sein de l’architecture du « Dark State » ? D’autres signes, notamment au Moyen-Orient, vont dans le sens contraire. Les États-Unis suivent le même manuel de politique étrangère depuis des décennies. Sont-ils capables d’une transformation culturelle aussi radicale ?

Il semble que les cercles de défense américains reconnaissent qu’une confrontation militaire avec la Chine est impossible. Mais tout changement profond prend du temps et peut être renversé par des événements imprévus. Plusieurs « cygnes noirs » planent actuellement.

Qui pourrait mener ce changement de perception nationale ? D’en haut ou d’en bas ? Par « en bas », pourrait-il émerger d’un mouvement populiste « America First » si Trump et les Républicains perdent la Chambre lors des élections de mi-mandat ?

RAND a raison sur un point : au-delà du théâtre à court terme, les États-Unis ne peuvent plus gagner une guerre économique, technologique ou militaire contre la Chine à long terme. Une trêve inconfortable semble se profiler. Mais pour combien de temps ?

Le Wall Street Journal propose une autre lecture : Xi Jinping aurait « percé le code Trump ». Il aurait abandonné la diplomatie traditionnelle pour adopter une approche plus dure, visant à gagner du terrain sur Trump tout en projetant force et imprévisibilité – des qualités que Trump admire.

La Chine veut désormais imposer sa dynamique, convaincue que cette approche sera bien accueillie en Chine – et ailleurs, même si le WSJ ne le mentionne pas.

Mais la grande question demeure : qui contrôle réellement la politique étrangère américaine ?

Après le fiasco du sommet de Budapest, il est clair que Trump n’a que peu d’autonomie dans ce domaine. Il est entièrement coopté. Le message des « puissances en place » est clair : pas de normalisation avec Moscou.

Un cessez-le-feu, oui – mais un conflit gelé, sans restrictions sur le réarmement ukrainien, permettrait à l’OTAN de redéfinir le conflit comme une « victoire en attente », en diffusant l’idée d’un affaiblissement progressif de l’économie russe.

Mais Moscou refuse catégoriquement un conflit gelé, et voit le champ de bataille évoluer en sa faveur. Le résultat final en Ukraine sera ce qu’il sera. Les Européens le savent, mais ne peuvent l’admettre, car cela remettrait en cause leur vision du monde.

Et qu’en est-il du fiasco russe de Trump ? D’un côté, il y a le veto des méga-donateurs pro-israéliens, pour qui une hégémonie militaire américaine est indispensable au soutien d’Israël. Israël ne peut exister sans cela.

Beaucoup de membres de l’équipe Trump ont été imposés par ces donateurs, comme Trump l’a lui-même reconnu lors de son discours à la Knesset. Certains de ces donateurs appartiennent aussi à une faction de Wall Street qui, en plus d’être pro-sioniste, cherche à renforcer le système financier américain par des actifs tangibles (pétrole, ressources naturelles…).

Cette faction rêve encore d’un retour à la Russie des années 1990. Elle partage avec les donateurs pro-israéliens la volonté de tenir la Russie à l’écart du Moyen-Orient, notamment via le conflit ukrainien.

Le calcul autour de l’accord commercial avec la Chine est différent. Un accord fort serait vu comme une menace pour le modèle canadien d’assemblage de composants bon marché pour le marché américain. Mais il donnerait à Trump un levier stratégique en vue de la renégociation de l’accord USMCA en 2026.

Un accord sur les terres rares serait crucial pour le secteur technologique américain. La Chine contrôle 70 % de la production mondiale, et 94 % de la capacité de raffinage. Elle a construit une forteresse autour de ces ressources stratégiques.

Il y a une autre raison, peut-être la plus urgente, pour laquelle les États-Unis ont besoin d’un accord avec la Chine : la légalité des tarifs douaniers imposés par Trump est de plus en plus contestée. La Constitution stipule que seul le Congrès peut lever des revenus. Les premiers cas seront examinés par la Cour suprême dès le 1er novembre. Si Trump perd, il pourrait être contraint de rembourser tous les revenus perçus.

Cela aurait un impact majeur sur la politique étrangère américaine, car les tarifs ont été utilisés pour forcer les investissements étrangers.

En résumé, Trump et les États-Unis ont désespérément besoin d’un accord avec la Chine. Sa politique économique, si elle n’est pas annulée par la Cour suprême, marque un changement irréversible du paysage géopolitique mondial.

Mais dans d’autres domaines, un tel changement est moins probable. Les milliardaires pro-israéliens derrière Trump feront tout pour soutenir Israël dans sa quête d’un « Grand Israël » fondé sur une nouvelle Nakba.

À long terme, cependant, leur domination est moins assurée. Le soutien des jeunes Américains à Israël s’effondre. Le Congrès restera sous influence d’AIPAC, et Trump s’est défini comme un soutien inconditionnel d’Israël. Mais une fracture avec sa base MAGA commence à apparaître.

Malgré une possible redéfinition des circonscriptions électorales dans le Sud, Trump pourrait perdre les élections de mi-mandat. Ce qui signifie que son agenda n’aurait qu’un an pour s’imposer avant d’être bloqué par les Démocrates.

La raison de la précipitation de Trump est évidente.

Bien sûr, rien de tout cela ne pourrait se produire, et les élites américaines et européennes pourraient se rassurer en pensant que l’ancien ordre peut être restauré. Mais ce serait une grave erreur.

L’ancien monde confortable ne reviendra pas. Les jeunes – s’ils se distinguent en quoi que ce soit – sont bien plus radicaux.

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