L’initiative franco-saoudienne ne rompt pas avec l’approche américano-israélienne

Un des reproches qu’il est possible de faire à l’initiative franco-saoudienne qui a conduit à la reconnaissance de l’État de Palestine par un certain nombre de pays, c’est d’avoir mis l’organisation du Fatah en particulier, et les organisations palestiniennes de l’OLP en général, dans le rôle peu enviable du charognard. C’est-à-dire de celui qui attend tranquillement dans son coin que le Hamas soit réduit à l’état de cadavre par la puissance de feu d’Israël pour entrer en scène et s’accaparer tous les honneurs d’un État désormais doté des attributs de la respectabilité dans le concert des nations.

En effet, cette initiative franco-saoudienne, tout en s’engageant en faveur de la souveraineté d’un État palestinien, dans le cadre de la solution à deux États, ne rompt pas avec l’approche américano-israélienne qui consiste à poser la disparition du Hamas comme condition à toute solution dans le dossier palestino-israélien. Or que signifie cette condition, sinon que l’on offre sur un plateau – mais aussi sur le cadavre du Hamas – le privilège de la légitimité à l’actuelle « Autorité palestinienne » de Mahmoud Abbas ?

Bien sûr, il n’est pas interdit de penser que certains représentants de ladite « Autorité palestinienne » endossent parfaitement ce rôle indigne, en ce qu’ils se conduisent réellement en opportunistes qui, sans prendre le moindre risque pour la libération de leur peuple, tiennent cependant à récolter les titres de gloire le moment venu, sur le compte et au détriment de ceux qui ont payé le prix du sang.

Mais la question qui doit pourtant se poser est la suivante : est-il tout à fait juste de dénier toute légitimité morale à un mouvement comme le Fatah ? On n’ignore pas le peu d’estime dans lequel il se trouve auprès de l’opinion arabe. Si on ne l’accuse pas de traitrise, on l’accuse de couardise et de soumission à l’ordre occidental. Or c’est justement parce que ce mouvement nourrit contre lui un tel sentiment de dépit et d’animosité qu’il incombe de poser la question que nous posons.

On pourrait rappeler dans un premier temps les luttes passées, en demandant aux uns et aux autres de ne pas avoir la mémoire trop courte. C’est vrai que les luttes passées gardent tout le poids de leur crédit dans l’épopée palestinienne. Mais on fera sans doute remarquer que le fait aujourd’hui de n’avoir rien d’autre à faire valoir dans l’épreuve du moment que les lauriers récoltés de périodes révolues confirme l’état coupable de démission. Et on aura raison.

Passons alors à une autre considération, qui est la suivante, qui s’inscrit dans le présent le plus actuel et qui nous paraît décisive : le Fatah, à tort ou à raison, a fait le choix de l’action politique comme seule arme en vue de mener le combat pour le compte du peuple palestinien. Il a fait ce choix et l’a maintenu malgré les désillusions d’Oslo et les revirements d’Israël. Il l’a fait aussi au risque d’être désavoué par le peuple palestinien, surtout avec la montée en puissance du Hamas qui incarnait quant à lui la poursuite de la lutte dans sa forme plus frontale et plus brutale.

Or la pertinence de pareil choix ne peut apparaître que dans le temps. En laissant l’autre option aller au bout de sa propre logique pour, ensuite, réclamer un bilan : où cela a-t-il mené ? En quoi cela a-t-il fait avancer la cause ? À l’échelle de Gaza, le résultat n’est-il pas évident : des morts par dizaines de milliers, les habitations rasées ainsi que presque tous les bâtiments, une famine chronique que seule l’ennemi a le pouvoir d’alléger en permettant l’arrivée de l’aide sur le territoire…

Bref, cette misère sans nom offerte en spectacle à travers la planète ? La sympathie mondiale que cela vaut au peuple de Gaza ne lui est pas d’une grande aide dans l’épreuve quotidienne qui est désormais la sienne. Alors oui, l’option politique adoptée est une option difficile, dont les fruits demandent beaucoup de patience, ainsi que beaucoup d’efforts dans la construction d’alliances et de soutiens. Mais celle de la confrontation violente, si glorieuse qu’elle puisse paraître, n’apporte au peuple que plus de malheurs… Est-ce cela qui constitue la voie salutaire pour le peuple palestinien et pour l’avenir de ses enfants ? Tel est l’argument que, dans sa position d’expectative plutôt que dans sa démission, Le Fatah laisse mûrir dans les esprits et dont il escompte un changement de cap.

Il ne s’agirait donc pas ici d’un vil opportunisme qui attendrait la fin des combats pour venir en recueillir les bénéfices indus. Il s’agirait seulement de laisser une expérience aller à son terme pour, une fois qu’elle aura montré ses limites, reprendre le chemin d’une autre forme de combat, sans subir le discours dépréciateur et démobilisateur d’une rhétorique sans doute plus fanfaronne qu’héroïque, malgré ses pertes en vies humaines.

Le chemin difficile de l’option politique a en effet besoin de cette sérénité pour réaliser ses avancées et pour remporter ses victoires, les unes après les autres, parfois sans crier gare, et toujours avec cette pensée que ce qui importe le plus et qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est le mieux-vivre des habitants. Il n’est pas question de se contenter de prendre ce que l’ennemi aura bien voulu concéder sous la bénédiction d’une communauté internationale peu jalouse de justice. Ce qui est en jeu, c’est seulement le passage d’une forme à une autre du combat.

Ce que nous écrivons ici n’a pas nécessairement pour but de réhabiliter le Fatah. Ce n’est pas notre rôle. Mais il s’agit de se rendre attentif à une dimension prospective dans laquelle il pourrait s’inscrire et qui pourrait amener à reconsidérer les critiques dirigées contre lui.

Enfin, ce que l’argument présenté ici dit au sujet du Hamas et de son action, sans être inexact, ne rend pas justice de la vocation d’une certaine forme de résistance à s’exprimer sur le mode de l’engagement total. Personne ne peut nier aujourd’hui que c’est cet engagement total qui a réussi à gagner le monde à la cause palestinienne : ce message selon lequel mieux vaut ne pas vivre du tout que vivre sans dignité sous la loi et la domination de l’occupant.

Même si, demain, le Hamas devait disparaître comme organisation, l’esprit de lutte qu’il incarne devra lui survivre. Et l’option politique, si opposée qu’elle puisse être au recours à la violence comme méthode, ne devra pas manquer d’en faire le ressort secret qui a pu lui faire défaut.

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