L'époque dangereuse du victimisme meurtrier

Quand on découvre que la majorité (73 % selon le dernier sondage) de la population israélienne civile, cultivée et démocratique soutient une sorte de « solution finale » à l'égard des Palestiniens, on ne peut que se demander : comment est-ce possible ? Comment est-il possible que quelqu'un, face à des formes manifestes et continues d'abus et de violence à l'égard d'innocents (enfants, personnes âgées, civils), continue à défendre sereinement ces activités ?

La réponse est en fait simple : dans le cas de la population israélienne, il s'agit d'une population qui a intériorisé, par l'éducation, une vision d'elle-même comme victime de l'histoire, comme un peuple fragile et opprimé, qui a donc implicitement droit à une « autodéfense préventive » à 360°.

En substance, étant donné que « nous » sommes en crédit auprès de l'histoire et de l'humanité, nous pouvons nous permettre ce que d'autres ne peuvent pas se permettre. La position de victime exemplaire nous place dans une position de supériorité morale insurmontable, ce qui simplifie considérablement chaque décision : je n'ai pas à peser le pour et le contre, car tout ce que je fais relève par définition d'une forme de « légitime défense préventive ». Il suffit de supposer que l'autre peut représenter, d'un point de vue quelconque, une menace pour moi, et je suis légitimé par mon rôle de victime à recourir à toute forme d'initiative répressive.

Une dynamique parfaitement analogue peut être observée dans les légitimations « progressistes » qui fleurissent depuis deux jours à propos du meurtre de Charlie Kirk.

On trouve sur Internet un grand nombre de débats publics avec Kirk comme protagoniste. Dans tous ceux que j'ai vus, on assiste à une discussion authentique, avec des positions raisonnées et motivées. Pas de harcèlement, pas de violence verbale, pas de censure, mais au contraire une exposition à une confrontation assez inconfortable, comme celle qui se produit lorsque l'on se trouve face à de nombreux étudiants universitaires aux positions opposées. Que dans certains cas, l'auteur soit d'accord avec le raisonnement développé et dans d'autres non, est évidemment sans importance. Aucun débat de cette qualité n'a été disponible depuis des décennies, par exemple, dans le panorama des débats télévisés italiens, où les talk-shows sont des arènes manipulées où prévalent les coupures, le harcèlement, la violence verbale et les blagues plutôt que les arguments.

Après cela, une série infinie de citations présumées circulent sur le net, dans lesquelles les positions de Kirk apparaissent comme des attaques performatives passibles de poursuites judiciaires pour « discours haineux ». Or, connaissant la sévérité de la législation américaine en la matière, je pense qu'il est légitime de supposer que la plupart de ces prétendues citations sont tout simplement des faux. Dans certains cas, cela a déjà été révélé (il existe sur Internet un échange assez pathétique dans lequel Stephen King attribue d'abord à Kirk des thèses inqualifiables sur la lapidation des homosexuels, pour ensuite tout retirer et s'excuser de ne pas avoir vérifié ses sources).

Comme on le sait, il existe dans toute législation une frontière entre l'argumentation et le discours performatif. Si je fais un discours théorique sur le suicide, c'est une chose, mais si je conseille à une connaissance fragile de se suicider, c'en est une autre : le second est un délit et est puni par la rigueur de la loi parce que j'utilise la parole comme une action, comme une incitation à commettre quelque chose de mal (ici, un suicide).

Dans les arguments avancés par Kirk sur les campus, ce qui ressort souvent, c'est le sentiment de profonde frustration d'un public étudiant qui, d'une manière générale, est – il est regrettable de le dire – tout simplement moins éveillé et moins cultivé que son adversaire. Des étudiants habitués à se donner raison mutuellement sur des généralisations et des lieux communs qui découvrent, pour une fois qu'ils sont exposés à une véritable confrontation, qu'ils en savent vraiment peu et qu'ils ont compris encore moins.

Cette frustration est compréhensible.

Mais elle ne suffit pas à expliquer le flot de commentaires enthousiastes, amusés, satisfaits, complaisants, etc. face à l'assassinat d'un intellectuel conservateur qui s'exposait à des débats publics au milieu de campus à majorité progressiste.

Le problème, bien sûr, est qu'un pont d'hyperboles rhétoriques conduit beaucoup de progressistes d'aujourd'hui à projeter ce passé historique sur des situations actuelles qui n'ont rien à voir avec ces antécédents. Si quelqu'un soutient le binarisme sexuel, il ne conduit personne à un four crématoire ; si quelqu'un soutient que l'avortement est une erreur, il ne vous pointe pas un fusil dessus, etc.

Ce qui semble évident n'est pas du tout perçu comme tel par une grande partie de la population progressiste, où prospèrent en effet des mécanismes mentaux tels que la « cancel culture », qui est précisément la tentative de supprimer rétrospectivement tout ce qui menace ou déstabilise mes convictions actuelles. Comme les raisons qui sous-tendent ce qui est devenu pour moi des convictions existentielles sont bancales, et comme je sais au fond de moi qu'elles le sont, je me sens existentiellement menacé par le simple fait que quelqu'un exprime des opinions diamétralement opposées.

Une fois ce mécanisme enclenché, moi, progressiste fragile, par définition opprimé ou du côté des opprimés, j'apparais à mes propres yeux comme une victime actuelle ou potentielle, victime des raisons d'autrui qui, si elles étaient laissées libres d'exister, pourraient mettre en péril mon existence fragile, mon identité même vacillante.

Alors, sans plus attendre, ceux qui sont qualifiés de « fascistes », « négationnistes », etc. peuvent tout se permettre, car toute réponse ne sera qu'une forme d'autodéfense préventive.

Il va sans dire qu'un tel mécanisme de polarisation, incapable de laisser place à la médiation argumentative, génère progressivement une atmosphère de guerre civile, de lutte sans merci de tous contre tous. Il est tout à fait prévisible que des événements tels que l'assassinat de Kirk ne donnent pas lieu à un élargissement des espaces de débat et de liberté d'expression, mais au contraire à des formes de stigmatisation agressives et obtuses, égales et contraires – très éloignées de ce que faisait Kirk.

Tout comme un conservateur rationnel peut être exécuté en tant que menace fasciste, il en ira de même pour un « marxiste » de gauche qui pourra être considéré comme un danger public potentiel (une situation déjà largement observée aux États-Unis).

Et lorsque les arguments disparaissent et qu'il ne reste plus que le conflit, sans médiation, les résultats sont toujours catastrophiques, quel que soit le vainqueur final.

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