Abdelkader Dhibi tué à Marseille : Quand la vie d’un tunisien compte moins.

Le 2 septembre 2025, à Marseille, Abdelkader Dhibi, citoyen tunisien, a été abattu par la police française. Sept balles tirées, alors que d’autres moyens existaient pour l’interpeller. Le drame est filmé, documenté. Les images, largement diffusées sur les réseaux sociaux, montrent un homme encerclé par les forces de l’ordre, brandissant deux couteaux, reculant d’abord, puis semblant s’élancer avant d’être abattu.

En Tunisie comme en France, l’émotion est vive, légitime. Comment ne pas l’être face à ce qui ressemble à une exécution sommaire ?

Selon le procureur de la République, Nicolas Bessone, Abdelkader Dhibi venait d’être expulsé de l’hôtel où il logeait. Armé, il aurait grièvement blessé un ancien colocataire, le gérant et le fils du propriétaire de l’établissement, avant d’agresser deux passants. Un « périple criminel », selon le parquet, qui a fait cinq blessés, dont un dans un état critique. Le Parquet national antiterroriste ne s’est pas saisi de l’affaire.

Selon plusieurs témoignages recueillis sur place, Abdelkader Dhibi avait eu un différend avec son employeur, qui semblait être également son bailleur. Ce conflit aurait conduit à des agressions répétées contre lui. Pour se défendre, il aurait alors saisi deux grands couteaux et blessé cinq personnes.

L’intervention policière a été assurée par des agents présents sur les lieux, non mobilisés initialement pour cette affaire. Après avoir encerclé Abdelkader, ils lui auraient intimé l’ordre de se coucher et de lâcher ses couteaux. Face à la tension et à la panique, ils ont ouvert le feu, l’abattant sur-le-champ

L’inspection générale de la police nationale (IGPN) a ouvert une enquête sur les tirs. Mais le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, en visite sur place, a d’ores et déjà apporté un soutien sans réserve aux policiers : « Les images laissent peu de doute sur la légitime défense », a-t-il assuré. Avant même l’ouverture de l’enquête, les policiers étaient déjà blanchis par les plus hautes autorités. Et une partie de la presse a lancé une offensive à connotation raciste visant les Tunisiens. Le réflexe est connu : justifier l’injustifiable, transformer la victime en coupable et stigmatiser toute une communauté.

Ce qui choque n’est pas seulement la brutalité du geste policier, mais l’empressement avec lequel on cherche à le légitimer. Abdelkader Dhibi aurait été armé de couteaux ? Il n’a pas obéi aux sommations ? Est-ce suffisant pour justifier la mise à mort ? La loi française elle-même encadre strictement l’usage de la force : proportionnalité, nécessité, danger avéré. Rien, dans les images et témoignages, ne montre une menace immédiate imposant de tirer pour tuer.

Pour Abdelkader Dhibi, migrant tunisien, précaire, sans réseaux d’influence, le récit bascule aussitôt : il se transforme en coupable posthume, son meurtre devient une victoire policière et une communauté entière se voit stigmatisée.

La réaction des autorités tunisiennes – convocation du chargé d’affaires français, déclaration officielle dénonçant un « meurtre injustifié » – est salutaire. Mais elle ne suffit pas. Car derrière ce crime, il y a une logique plus vaste : celle d’une France qui traite ses immigrés et leurs descendants comme des suspects permanents, et d’une Europe qui, avec la complicité de régimes comme celui de Kaïs Saied, externalise ses frontières et banalise la violence contre les vies « indésirables ».

Mais il faut poser une question dérangeante : pourquoi, dans d’autres cas, la même indignation n’a-t-elle pas trouvé d’écho ? Quand des Tunisiens meurent en Italie, dans des centres de rétention ou en mer après des expulsions brutales, les autorités tunisiennes restent muettes. Pas de convocation d’ambassadeurs, pas de communiqués « à la langue ferme ». Hier silence, aujourd’hui protestations. Est-ce un sursaut patriotique ? Ou une instrumentalisation politique de la douleur et de la colère d’un peuple blessé ?

La vérité est double. Oui, il fallait réagir, dénoncer, exiger vérité et justice pour Abdelkader Dhibi. Mais oui aussi, il faut reconnaître l’hypocrisie d’un pouvoir tunisien qui, d’ordinaire, ferme les yeux sur les humiliations, les morts, les refoulements subis par ses citoyens, en Italie, en France, en Allemagne comme ailleurs. Comme si l’indignation était sélective, fonction des calculs politiques du moment.

Abdelkader Dhibi n’est pas seulement une victime : il est le reflet d’un système qui hiérarchise les vies, reléguant celles des migrants, des Arabes, des Africains, des étrangers, au bas de l’échelle. En France, l’argument de la « sécurité » blanchit l’injustice. En Tunisie, l’indignation devient un jeu d’ombres, tantôt bruyante, tantôt absente.

Rappelons une évidence : le droit à la vie est universel. Il ne souffre ni de frontières, ni de calculs, ni de hiérarchies. Honorer la mémoire d’Abdelkader, c’est non seulement demander justice pour lui, mais aussi refuser toutes les morts passées sous silence.

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