Une bonne définition du pouvoir politique est celle qui le caractérise comme l'art de mettre les hommes dans de fausses relations. C'est d'abord cela, et rien d'autre, que fait le pouvoir, pour pouvoir ensuite les gouverner à sa guise.
Une fois qu'il se sont laissé introduire dans des relations obliques dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas, les hommes sont en effet manipulables et dirigeables à volonté.
S'ils croient si facilement aux mensonges qu'on leur propose, c'est parce que les mensonges sont d'abord les relations dans lesquelles, sans qu'ils s'en rendent compte, ils se trouvent déjà.
Le premier geste d'une stratégie politique digne de ce nom est donc de sortir des fausses relations dans lesquelles le pouvoir a placé les hommes pour les gouverner.
Mais justement, ce n'est pas facile, parce qu'une fausse relation est précisément une relation dont on ne peut pas sortir. Une sorte d'issue n'est possible que si nous comprenons que la fausse relation est la forme même du pouvoir, qu'être dans une fausse relation, c'est être dans une relation de pouvoir.
Si elle est fausse, ce n'est pas parce que nous mentons, mais parce que nous n'avons pas conscience de son caractère essentiellement politique.
Que les relations apparemment intimes et privées ou celles qui sont techniquement ou socialement déterminées sont en vérité déjà toujours politiques, c'est-à-dire que nous nous y trouvons dès le départ dans une fausse relation, cette prise de conscience est le seul moyen de changer la façon dont nous les vivons à la racine.