Esthétique de l’impuissance : l’hypocrisie des mobilisations de façade pour Gaza

Le 9 mai, coïncidant avec la Journée de l’Europe, un groupe d’intellectuels a lancé un appel à la mobilisation en ligne pour Gaza, invitant les gens à poster des messages sur les réseaux sociaux avec les hashtags #ultimogiornodigaza et #gazalastday.

À première vue, l’initiative semble généreuse, voire nécessaire. Mais si vous regardez de plus près, vous pouvez voir le trait commun de nombreuses mobilisations « progressistes » d’aujourd’hui : une rhétorique compatissante qui, au lieu de briser le silence, le normalise. Un rassemblement de bon sens qui, au lieu de combattre le génocide, l’esthétise.

Ceux qui promeuvent ces initiatives appartiennent, dans la plupart des cas, à un circuit fermé et reconnaissable. Un réseau d’amis qui se reproduit sous les traits d’un engagement inclusif et populaire. Mais ce n’est pas populaire : un agrégat de quelques-uns qui se parlent, se citent et se légitiment mutuellement. Pas de véritable ouverture, pas de démocratisation du mot.

Derrière l’invitation à utiliser Internet, il y a un culte raffiné de l’impuissance. Poster un hashtag ne coûte rien, ne comporte pas de risques, n’implique pas une réelle exposition. C’est ainsi que se produit un grand rite collectif d’absolution : nous avons fait quelque chose, nous pouvons nous sentir bien avec notre conscience. Gaza, pendant ce temps, continue de mourir. L’horreur n’est pas ébranlée, elle est faite d’un spectacle, d’un sujet d’actualité. L’émotion est produite, pas l’action. L’urgence politique est anesthésiée sous une couverture d’esthétique morale.

Bien que désireuse de s’élever au statut de « résistance », cette mobilisation ne remet en cause aucun véritable axe de puissance. Elle ne conteste pas les gouvernements qui soutiennent Israël, elle n’affecte pas les intérêts économiques, elle ne propose ni n’organise de formes de boycott, de désobéissance civile, de pression politique systématique. Elle se limite à des gestes symboliques que le système peut facilement absorber sans tomber en panne. Paradoxalement, elle contribue à assurer la stabilité du même ordre juridique mondial et international qui rend possible la tragédie palestinienne.

Ceux qui résistent vraiment sont prêts à payer un prix, à construire des alliances radicales, à reconnaître leur partialité et à donner le micro à ceux qui sont opprimés. Ici, cependant, nous assistons à une dynamique paternaliste : Gaza devient le symbole de notre pureté morale, et non un sujet avec lequel régler une lutte commune. Gaza n’est pas traitée comme un interlocuteur, mais comme un objet de pitié. Vous ne construisez pas d’outils de résistance réelle, vous construisez des récits d’innocence.

En définitive, ce mode de mobilisation prive de responsabilité ceux qui y participent. Il vous permet de déléguer la prise de parole à quelques-uns, tandis que le citoyen ordinaire, réconforté par son courrier ou sa signature, peut retourner à sa vie quotidienne sans changer aucune structure de pouvoir. La culpabilité est apaisée, la colère canalisée sous des formes inoffensives, et le génocide peut se dérouler sans être dérangé.

Ces initiatives ne sont pas seulement inefficaces, elles sont nuisibles. Parce qu’elles perpétuent l’idée que le changement est une question de sentiments à partager et non de pouvoir à arracher. Elles font de la tragédie de Gaza un prétexte pour renouveler l’image morale d’une élite culturelle qui n’a pas vraiment l’intention d’abandonner ses privilèges.

Contre le génocide, nous n’avons pas besoin d’une nouvelle esthétique du témoignage. Nous avons besoin de pratiques de lutte, de résistance concrète, d’alliance réelle. Le courage, le conflit, la désobéissance sont nécessaires. Et par-dessus tout, nous avons besoin du rejet radical de toute hypocrisie.

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