Israël et l’ouverture du front nord

Le récit occidental dominant sur la crise déclenchée par l’invasion de Gaza par Israël est simple et facile à saisir : après les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 (une date immédiatement introduite clandestinement par les spin doctors israéliens comme le 11 septembre 2001 du pays), Israël avait acquis le droit de mener une invasion terrestre majeure de Gaza, qui est une zone gouvernée par le Hamas. L’opération terrestre s’est inévitablement immédiatement transformée en massacre de civils palestiniens : mais même cet élément n’a pas arrêté le gouvernement de Netanyahou, qui est resté totalement indifférent aux énormes pressions internationales qui ont également abouti à une plainte, par l’Afrique du Sud, auprès de la Cour internationale de Justice, la plus haute juridiction des Nations Unies, qui a décidé ces derniers jours qu’Israël serait jugé même pour génocide possible du peuple palestinien.

Nous avons été des prophètes faciles, le désastre diplomatique (qui aura des coûts énormes pour Israël) mais aussi l’opération militaire pas facile coûtant d’énormes pertes humaines et matérielles n’ont pas été avantageux et en effet, il ne semble pas exagéré de prétendre qu’il s’agit d’un compromis absolument déficitaire pour Tel-Aviv.

Il y a deux alternatives, soit Netanyahou est complètement fou et mène une action politique qui est nuisible à Israël, soit le récit que le courant dominant nous alimente depuis des mois est totalement faux, ou peut-être, plus probablement, c’est un écran de fumée adapté pour ne pas faire comprendre au grand public les véritables instigateurs ou les véritables objectifs de cette opération.

Nous l’avons dit à plusieurs reprises : si Israël n’a aucun intérêt à mener une opération aussi insensée qui risque de faire exploser le Moyen-Orient, ainsi que de nuire irrémédiablement aux relations diplomatiques avec tous les pays de la région et aussi avec tous les pays « émergents » du monde, on ne peut pas en dire autant du grand allié de Tel-Aviv c’est-à-dire les États-Unis, la grande puissance du XXe siècle, structurellement en déclin.

Washington a intérêt à faire exploser tout le Moyen-Orient afin de nuire aux BRICS et en particulier à la Chine et à la Russie. Inutile de dire que depuis janvier de cette année, l’Arabie saoudite et l’Iran ont rejoint les BRICS, de sorte que Riyad est inexorablement dans l’orbite des pays alliés de Washington tandis que l’Iran réintègre le forum international après des décennies d’isolement imposé par Washington après la révolution des ayatollahs qui a évincé le Shah.

Avec l’entrée en vigueur de la Chine et de la Russie au Moyen-Orient, il y a donc un risque mortel pour Washington ; Une région du monde d’une grande valeur stratégique, tant pour ses énormes réserves d’énergie que pour sa position géographique à cheval sur trois continents, risque de devenir contestable par des puissances antagonistes.

Il s’agit d’une crise, celle du Moyen-Orient, qui ne peut vraiment s’expliquer qu’en suivant la logique de la « guerre mondiale fragmentaire » identifiée par le pape François. Une série de guerres apparemment sans lien entre elles, mais où, en réalité, des États fantoches mènent des guerres par procuration pour le compte des grandes puissances, chacune d’entre elles tentant de submerger les intérêts de l’adversaire dans la zone contestée et éventuellement de l’expulser directement des pays en conflit.

Nous avons déjà vu la même situation en Ukraine, avec l’OTAN qui a tenté d’expulser la Russie du pays malgré le fait qu’au moins la moitié de la population est ethniquement russe. Nous avons vu la même chose avec la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan où l’Occident a attisé les flammes du conflit dans l’espoir que l’Arménie quitterait l’Organisation du traité de sécurité collective (c’est l’alliance militaire des anciens pays soviétiques dirigée par la Russie), tout cela avec l’espoir mal dissimulé d’expulser définitivement Moscou du Caucase du Sud précisément à cause de la perte de son allié arménien. Sans parler de l’Afrique subsaharienne, aujourd’hui le théâtre de l’affrontement entre les puissances occidentales et la Russie et la Chine de l’autre côté.

À mon avis, Israël n’a pas non plus réussi à se libérer de cette logique perverse. En fait, un sens logique de l’opération de Gaza ne peut être donné que dans la perspective de voir ce carnage absurde comme une provocation à l’ensemble du monde arabe pour arriver à l’explosion du Moyen-Orient. Tout cela dans l’intérêt américain de pouvoir bloquer la pénétration russe et chinoise dans la région. Quant à savoir pourquoi Tel-Aviv a accepté cela, il est facile de dire : Israël est un pays très riche (55 000 dollars de PIB par habitant) bien qu’il soit entouré d’ennemis, grâce aux énormes transferts technologiques, économiques et financiers ainsi qu’au soutien diplomatique et militaire inconditionnel qu’il reçoit des États-Unis. Les Américains donnent beaucoup, même pendant des décennies, mais tôt ou tard, ils viennent recouvrer les dettes et demander le retour des faveurs.


…

La stratégie américaine consistant à utiliser Israël comme un pays vassal a abouti à un premier résultat tangible : l’ouverture du front yéménite et la fermeture substantielle du détroit de Bab el-Mandeb avec des dommages commerciaux massifs. Ce conflit représente également une augmentation de l’instabilité dans la région et donc un résultat tangible de la stratégie du chaos planifiée à Washington.

Cependant, le front le plus important est sans doute sur le point de s’ouvrir. Israël a amassé des troupes et du matériel vers la frontière avec le Liban pendant des semaines et a appelé au retrait des milices du Hezbollah sur la rive nord du fleuve Litani. La demande semble avoir été rapidement rejetée par le « Parti de Dieu » d’inspiration chiite libanaise, malgré la médiation du chef adjoint des services de renseignement allemands (1) qui, selon certaines sources, a rencontré Naïm Kassim, adjoint du chef du Hezbollah, précisément dans le but de demander aux combattants du Hezbollah de se retirer de l’autre côté du fleuve Litani et de permettre à l’armée libanaise et à la FINUL d’en prendre le contrôle.

La proposition israélienne a une intention clairement provocatrice, car l’objectif sous-jacent n’est pas tant de chasser les milices chiites du Hezbollah que précisément d’arriver à une invasion du Liban que les médias israéliens considèrent désormais comme presque certaine.

Il faut toutefois noter qu’un conflit direct entre le Liban et Israël risque immédiatement de se confondre avec un autre conflit grave qui se déroule à quelques dizaines de kilomètres de là : le conflit syrien où les fidèles d’Assad sont également soutenus par un important contingent russe.

La guerre mondiale fragmentaire risque d’ouvrir un nouveau chapitre terrible et de devenir de plus en plus incandescente.


NOTES

(1) The Cradle, les services de renseignement allemands n’ont pas réussi à persuader le Hezbollah d’arrêter les opérations contre Israël : Rapport – 24 janvier 2024

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